Pour débuter son 48e livre, Edgar Morin présente l’éthique comme une « exigence morale » provenant de la culture, des croyances, des normes qui sont transmises. Dans ses applications pratiques, l’éthique se trouve à la base d’une indispensable éducation à la citoyenneté à laquelle l’auteur nous invite : « La régénération de l’éthique est donc inséparable d’une régénération du civisme, elle-même inséparable d’une régénération démocratique ».
Entreprise d’une grande richesse intellectuelle et probablement l’ouvrage le plus stimulant paru en France depuis au moins un an, cette Éthique de Morin propose avec une grande liberté de style des avenues possibles et des références multiples, évoquant autant la philosophie, les sciences de la société, que la littérature universelle (Le Comte de Monte-Cristo, le Faust de Goethe, les pensées de Hölderlin), des films, voire des souvenirs personnels, remémorés sous forme de notes introspectives.
Il n’est pas indispensable d’avoir lu les cinq tomes de La méthode pour aborder cette dernière portion d’un cycle mémorable amorcé en 1977 (La nature de la nature, Seuil). On trouve ici dans des formulations limpides l’essence de la pensée « morinesque »: le recours à une approche interdisciplinaire pour saisir les enjeux complexes de nos sociétés, l’imbrication de la culture dans la société et les visions du monde, l’importance de tenir compte du symbolique et du sacré pour comprendre les phénomènes de croyances et les décisions politiques, et surtout une attitude généreuse, nécessaire pour saisir le sens des activités humaines, à l’encontre du désenchantement et du nihilisme. Cette méthode ne se veut pas une réflexion méthodologique, mais une méditation pénétrante sur la complexité inhérente aux questions brûlantes qui mobilisent nos sociétés.
Véritable vivier d’idées, chaque chapitre fournit des définitions et des exemples concrets. L’éthique demeure « la résistance à la cruauté du monde et à la barbarie humaine ». Pour ma part, je ne pourrais pas trouver un ouvrage plus instructif et plus accessible consacré à l’éthique ; sur cette question fondamentale, ce sixième et ultime tome de La méthode me semble indispensable, comme un commencement.