Ordonné prêtre en 1832, Joseph-Sabin Raymond (1810-1887) a passé sa vie à enseigner la rhétorique, la littérature, la philosophie et la théologie au Séminaire de Saint-Hyacinthe, dont il fut aussi le préfet des études et le supérieur. Les Entretiens sur l’éloquence et la littérature de Joseph-Sabin Raymond, qui sont ici publiés pour la première fois, ont été « rédigé[s] selon toute vraisemblance entre l’automne 1832 et l’été 1834 » et constituent « l’ouvrage de critique littéraire, de réflexion rhétorique et de théorie esthétique le plus important du premier XIXe siècle québécois ». Cette « œuvre de jeunesse » restée inachevée incarne la réaction religieuse et littéraire de l’auteur à la philosophie des Lumières et à la Révolution française.
Les Entretiens utilisent le procédé classique d’échanges entre des interlocuteurs identifiés par des lettres (de « A » à « F »), à la manière des Dialogues sur l’éloquence de Fénelon, et empruntent le ton et l’inspiration générale des Soirées de Saint-Pétersbourg de Joseph de Maistre. Joseph-Sabin Raymond y convoque l’autorité des Platon, Démosthène, Cicéron, Pascal, Chateaubriand et autres de Bonald, sans oublier celle de La Mennais, dont les idées, avant leur condamnation par Rome, ralliaient toute l’équipe pédagogique du Séminaire de Saint-Hyacinthe. Mais ce sont surtout les ouvrages de Pierre-Sébastien Laurentie qui demeurent la principale source du jeune abbé, qui les cite abondamment. Les six interlocuteurs, ou « devisants », discutent de la nouvelle littérature romantique, interrogent les mérites de la littérature classique, réfutent la pensée des Lumières, passent en revue les vertus des anciens orateurs grecs et latins et rappellent des convictions exprimées sous forme d’axiomes : « l’objet de l’éloquence », c’est « le vrai à persuader, le bien à prouver » ; « le beau est la splendeur du vrai » ; « la littérature est l’expression de la société »… Joseph-Sabin Raymond défend ardemment les théories ultramontaines qu’il reprendra toute sa vie dans ses nombreuses œuvres ultérieures. Il faut, dit-il par exemple, que « la littérature aille demander ses inspirations au catholicisme ». Ailleurs il raille les « colosses aux pieds d’argile » comme « Bacon, Locke, Condillac, Voltaire ». Ce dernier se voit tout particulièrement décrié lorsque l’éducateur dénonce les « niaiseries voltairiennes » et « la secte hideuse et cynique […] de l’école voltairienne ».
En annexe, les éditeurs ont eu l’heureuse idée de reproduire deux lettres adressées par le prêtre québécois à Chateaubriand et à La Mennais, de même que son article sur ce dernier, dont Mgr Lartigue a interdit la publication. Les deux lettres traduisent des sentiments de reconnaissance admirative, voire d’exaltation, pour les écrits des destinataires tandis que l’article résume le parcours tumultueux de l’auteur des Paroles d’un croyant, condamné en 1834 : après avoir encensé l’ecclésiastique breton, Joseph-Sabin Raymond exprime sa soumission au décret papal et accable d’injures son ancien modèle en le traitant de prêtre « démagogue » et « sacrilège », d’« apôtre de l’anarchie », de « ministre prévaricateur », « indigne » et « traître à son Dieu », de « rebelle », de « parjure » et d’« imposteur ».
Les éditeurs critiques proposent au total une lecture significative et fort documentée, qui reflète de belle façon l’orthodoxie philosophique et théologique d’une époque où l’ultramontanisme s’apprêtait à déferler sur le Québec.