Ils sont douze millions dispersés de par le monde, ceux que l’on appelle tout à la fois Roms, Tziganes ou Gitans, dont huit millions en Europe, principalement en Europe de l’Est où ils forment la plus importante minorité. Ce peuple apatride au parcours migratoire millénaire reste pourtant méconnu. Sans Écritures (70 % sont illettrés) et sans mémoire collective, vivant souvent aux confins des villes et des villages dans le dénuement le plus total, les Gitans affichent une profonde cohésion sociale et font preuve d’une grande défiance envers les gadjo (non-Gitans).
Pour dissiper le mystère qui les entoure, une journaliste américaine, Isabel Fonseca, a passé quatre ans à mener des enquêtes et à côtoyer plusieurs communautés au fil de ses pérégrinations dans l’ex-bloc soviétique, brossant dans ce livre leur portrait. En Albanie, par exemple, la vie quotidienne d’une famille tzigane révèle les dures lois de la préservation du groupe et de ses traditions au détriment de l’émancipation individuelle et une parfaite indifférence à l’égard de la société albanaise. En Bulgarie, une Gitane privilégiée cherche à dissimuler ses origines dans un pays où les Tziganes ont été coupés de leur culture traditionnelle, parfois même jusqu’à en oublier leur langue, le romani. En Roumanie, on assiste à la destruction de villages gitans entiers par des villageois qui, en période de crise sociale, déversent tout leur fiel sur ces communautés.
Isabel Fonseca traite de la condition gitane dans toute sa complexité et éclaire des pans du passé de ce peuple en marge de la grande comme de la petite histoire. On apprend ainsi des choses stupéfiantes sur cette communauté originaire de l’Inde qui a connu quatre siècles d’esclavage dans la région des Balkans et l’extermination sous le régime nazi. L’auteure prend parti contre l’ostracisme dont il est victime, tout en gardant un regard objectif à son égard, nous en montrant les côtés sombres. Pour ce peuple, pourtant plein de ressources et bon vivant, l’espoir et l’avenir reposent sûrement sur les membres qui ont « trahi » – c’est-à-dire qui se sont intégrés à l’autre société – sans renier leur identité. Des gens qui, aujourd’hui, sont écoutés de la communauté internationale dans la lutte qu’ils mènent pour la reconnaissance des droits des Gitans et qui travaillent à l’émergence d’une conscience collective au sein d’une nation éparpillée aux quatre vents. Un livre d’un grand intérêt ; à la fois érudit et simple, il s’imposait pour corriger notre ignorance du « peuple le moins obéissant du monde ».