Riche idée et début à la hauteur. Dans le coin droit, le soldat Patrick Kègle, qui va tenter « d’expliquer combien les soldats canadiens sont humains et prêts à servir l’humanité » ; dans le coin gauche, l’enseignante Roxanne Bouchard qui, d’entrée de jeu, met les points aux bons endroits : « Si vous étiez vraiment homme de cœur, vous refuseriez de porter les armes ». La correspondance qui s’enclenche ainsi dans la clarté durera plusieurs années, avec des éclipses lorsque le militaire revient au pays et retrouve à la fois sa famille et ses chocs post-traumatiques. À son terme, l’affrontement aura cédé la place à l’amitié et à un projet de publication conjointe. Chaleureux et pleinement respectable, le bouquin se déroule pourtant sous le signe du malentendu : on confond les enjeux et on laisse entendre que le respect mutuel suffit à museler les principes. Et pourtant ! Le militaire de carrière peut, comme tout humain, pratiquer son métier avec sincérité et générosité sans pour autant que son métier mérite l’éloge. De la même manière, la femme sensible aux valeurs culturelles peut sympathiser avec le soldat qu’éprouvent le divorce et le doute professionnel sans pour autant endosser les dérives belliqueuses de son correspondant et de son pays. Prouver que l’amitié est possible malgré les divergences de valeurs démontre seulement que l’amitié, comme l’amour, résiste à bien des corrosions. S’entendre sur le fait qu’on ne s’entend pas va déjà plus loin. Dans le monde clos de cette amitié, le reste perd tout relief. On ne se demande pas pourquoi un militaire en mission se confie à une « marraine de guerre » tout en cachant les risques de sa mission à la mère de ses enfants. Pas plus qu’on ne demande au soldat de préciser la nature de ses chocs post-traumatiques. Que le soldat se dise pacifiste ne fait guère sursauter sa correspondante. On ne demandera pas au militaire quelles preuves il peut brandir du rôle humanitaire dont se targue l’armée. Pas plus qu’on ne l’invite à mesurer enfin l’ampleur de ses préjugés religieux et raciaux : comment pourrait-il aider un peuple dont il sous-estime visiblement l’histoire et la culture ? Admirable chose que l’amitié, mais, en l’occurrence, elle évacue les questions que le début de l’échange faisait espérer.
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