Notant que, dans le langage et l’idéologie populaire, la frontière est le plus souvent synonyme d’obstacle, le géographe québécois Henri Dorion a prononcé une conférence au Musée de la civilisation à Québec dans le but de revisiter cette notion qui, de son avis, a mauvaise presse. Le texte de cette conférence prononcée en mars 2005 a paru l’année suivante aux éditions Fides, sous le titre Éloge de la frontière.
Pour Henri Dorion, la notion de frontière est porteuse d’un immense paradoxe : « [L]a frontière, conçue pour diviser, s’avère, potentiellement et souvent effectivement, un lien, un élément créateur de solidarités, voire un moteur de cohésion régionale qui transcende la fonction limitative qui est à son origine ». Les frontières peuvent donc jouer un double rôle : de contact ou de séparation. Même à l’ère de la mondialisation, elles peuvent être positives si elles deviennent des zones d’échange plutôt que de destruction. « Tout est question d’attitude », selon le géographe, pour qui la responsabilité de l’humain demeure cruciale.
Dans son exposé, le géographe remet aussi en cause la notion de frontière naturelle. Selon lui, toutes les frontières (géographiques, politiques, etc.) sont artificielles, « en ce sens que c’est l’homme qui les choisit, les installe, les consolide, les modifie selon ses besoins, ses velléités, ses conquêtes ». Encore là, le rôle de l’homme est déterminant.
En fait, pour Henri Dorion, un monde sans frontières constitue une utopie, car les frontières, qui contribuent à consolider les identités, sont nécessaires à l’équilibre des nations. Montrant, exemples à l’appui, que les frontières ne disparaissent pas mais sont remplacées ou multipliées, le conférencier explique que plutôt que de rêver de leur disparition, il faut travailler à transformer les frontières de séparation en frontières de contact, « entre pays, entre communautés, entre idéologies, entre religions, entre arts et sciences, bref, entre les hommes ». Car, inspiré par le parcours de Jean Cocteau, le géographe demeure convaincu que « c’est souvent à la frontière des choses qu’on en découvre l’essence profonde ».