Un livre comme un tremblement de terre, un passage ou l’entrée abrupte d’une jeune fille dans le monde des femmes.Je me fonds dans une première lecture lente et silencieuse de ce troisième livre de Laurence Veilleux. J’ai hâte. Mon rythme de lecture s’accélère dans un mélange de plaisir, devant une langue recherchée, si bien maniée, et de douleur sourde. Je suis lectrice-témoin de ce qui se joue dans Elle des chambres. Je m’emplis d’amour, de rage, d’empathie et de révolte, et j’aime encore plus la poésie de Veilleux. Sans détour, elle fait l’aveu de la violence sexuelle vécue et de celle qu’en retour, elle se fait à elle-même. Les doigts, les siens comme ceux des hommes, deviennent des armes ; la narratrice les glisse dans son sexe, apprend à se faire vomir ; s’attire l’admiration, se soulage, engourdit ce qui gronde dans la poitrine, fait le vide.Les figures masculines se succèdent : les fils, petits hommes qui imitent leur clan, les pères, qui tiennent des propos déplacés, ce fameux « tu », successivement un garçon anonyme, un père et un grand-père. La voix narrative, même comme un filet, est acérée. Elle tient tête, affronte : « [J]’apprends / ce que je suis » ; peut-être objet de désir et de tentation malsaine, puis proie fragile et guerrière.Je lis et la voix de l’autrice, que j’ai entendue sur scène et qui défend sa poésie avec aplomb et une présence rare, me revient en tête. Empreinte de caractère, de courage, la narratrice semble avoir été arrachée à l’enfance et paradoxalement, en être restée tout près ; une femme-enfant qui tenterait d’en préserver quelque chose de beau, de doux. Cette beauté se trouve peut-être dans le lien particulier qu’elle entretient avec la nature et dans l’habile dialogue de la narratrice avec d’autres poètes : « Si je voulais, j’étais une bandit ».Si l’écriture de Chasse aux corneilles, premier livre de la poète, était solide, elle s’affine et s’affirme dans Elle des chambres. Les poèmes, comme dans les précédents livres, sont campés dans un lieu campagnard, souvent décrit comme en décrépitude : cabane, matelas au sol, gravier. Des lieux porteurs de malheurs, mais pas que, et difficiles à quitter. Les moments les plus crus de ce livre m’apparaissent comme un passage obligé dans la démarche de l’autrice, et ils côtoient d’autres textes d’une grande beauté triste, dans un contraste ton/propos qui crée un effet d’étrangeté fort puissant. Le viol est abordé de façon frontale, la poète en décrit toutes les nuances, embrasse la douleur et dit le détachement de soi-même : « [D]eviens / un coffre vide / où rien ne peut arriver d’important / une peau molle de mille bêtes ». Elle écrit au passage la complexité du lien entre agresseur et agressé : « Tu savais que je craignais le noir, tu m’as proposé d’installer un matelas dans la pièce où tu passais tes nuits. J’ai accepté » et finalement, ce qu’il en coûte de dire la honte, d’oser voler en éclat et de ne pas savoir s’il sera possible d’en recoller les morceaux.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...