Une jaquette toute noire. Une collection nommée « Les derniers mots » aux éditions du Passage. Un titre cristallin et ensoleillé : Elle arrive avec l’été. Un extrait, en quatrième de couverture, qui parle de la beauté des mourants Avant même d’ouvrir le récit autobiographique de Gilles Chagnon, tout nous parle de contrastes, d’extrêmes opposés. Tout induit déjà une lecture qui exige l’introspection, le recueillement mais aussi l’ouverture sur une autre façon de raconter la lente désintégration du corps, la mort, le deuil. Puis on entre dans le récit, comme sur la pointe des yeux. On hésite toujours un peu devant un texte qui raconte la disparition d’un être, la fin de la vie. Mais, bientôt, on pénètre de plus en plus dans le magnifique livre de Chagnon. Et on y reste, touché, ému, jusqu’à la fin. Jusqu’à ces tous derniers mots : « [ ] laissons le soleil nous inonder de lumière fraîche et blanche ».
Pauline Daigle, la mère de l’auteur, a quatre-vingt-huit ans. Pour reprendre le titre d’un roman de Romain Gary, est-ce dire que notre billet n’est plus valide après un certain âge ? Non, bien sûr, mais son cœur malade a de plus en plus de mal à effectuer son travail et, bientôt, tout le reste de la machinerie interne multiplie les ratés. Le cardiologue résume la « défaillance cardiaque devenue rebelle aux traitements », l’anticoagulation trop élevée qui a causé « une spoliation digestive occulte, d’où l’anémie » et l’anémie qu’on peut corriger un peu mais « là c’est le yo-yo entre l’insuffisance rénale et l’insuffisance cardiaque ». Il ne peut plus lui offrir que des soins de confort en attendant le grand départ. L’auteur, lui, sait que sa mère est prête bien avant eux tous, le spécialiste, le fils, la sœur, leurs conjoints, les petits-enfants adultes. Alors, il raconte les derniers jours de sa mère, la souffrance, l’impuissance, l’angoisse, « le grand livre des heures devenu le livre des minutes », les conversations qui n’ont plus le temps d’être anodines, les mots de Pauline, poignants : « En tout cas, j’ai beaucoup aimé ça, moi, vivre » et les souvenirs d’une longue vie sous le signe du soleil. Née avec le solstice d’été, un 21 juin 1918, elle sera incinérée, selon son choix, à l’exact opposé, un 20 décembre 2006, avec le solstice d’hiver.
Comme l’apprivoisement du chagrin et de la solitude que constitue le deuil, l’écriture de Gilles Chagnon avance, revient sur ses pas, repart vers l’avant. Mais ce livre terrible de douleur, de courage et d’apprentissage est aussi fabuleusement lumineux.