« Une littérature d’ailleurs qui va vers l’ailleurs », tel est le type d’écrit dont se réclame l’auteur français Antoine Volodine, créateur de ce qu’il appelle le « post-exotisme ». Mais qu’est-ce donc ? Le genre, dont les principaux adeptes sont les pseudonymes et les personnages de l’auteur lui-même, mêle de façon on ne peut plus noire onirisme et politique, parfois dans un univers d’après-mort. Dans son dernier « roman », Écrivains, Volodine offre de multiples portraits d’écrivains dits post-exotiques : ils sont exclus de la société, voire emprisonnés, ils savent à peine lire, ils ne cherchent pas à être lus, ni entendus, mais écrivent, dans l’urgence, comme si quelque chose cherchait à parler à travers eux. Plus ou moins ancrés dans la réalité stalinienne – parfois l’on ne sait où l’on est –, ces portraits interrogent le besoin de dire, malgré l’absence de lecteurs, ce besoin de s’expliquer, de se raconter sa vie, d’y donner un sens. On rencontre ainsi un analphabète qui recrée l’histoire de sa naissance en mettant en scène des milliers de morceaux de métal, de brindilles, de copeaux trouvés dans les poubelles. Un ancien révolutionnaire torturé par des fous psychopathes se rappelle la transe dans laquelle l’avait plongé l’écriture, à six ans, de sa première histoire. Une morte donne à entendre à des humains informes une conférence sur les liens entre parole et image. Une autre rêve entre les murs de sa prison avant de mourir, un autre encore est trop génial pour être compris Le thème de l’enfermement – dans un lieu, dans sa tête, dans son corps – connaît ici de surprenantes variations ; seul peut-être s’en éloigne le chapitre intitulé « Remerciements », une suite de remerciements, comme ceux que l’on trouve à la fin d’un livre, qui finissent par dessiner la vie d’un homme, grand aventurier et coureur de jupons, mais seul, exclu, cela va de soi. Volodine fait montre d’une imagination obsessive et fascinante doublée d’une justesse qui donne réalité à ces sortes de fantasmes de persécution. Les premiers pas dans ce monde particulier sont sans doute les plus difficiles. Le reste de cette traversée est vécu intensément, parfois avec effroi.
On pourrait remettre en question l’étiquette « roman » donnée au livre. Une question de marketing ? Mais le lecteur a tôt fait d’oublier ce petit accroc à la vérité.