Lorsqu’un romancier québécois utilise le joual, ou qu’un écrivain martiniquais fait appel au créole, pour qui le fait-il ? À qui s’adresse-t-il ? De même, comment penser cette relation complexe existant entre les écrivains de la francophonie hors France et le modèle tout-puissant suggéré par l’Hexagone ? Par quels moyens ces femmes et ces hommes de lettres du monde entier peuvent-ils échapper, en utilisant les marques du français qui leur sont propres, à une forme de littérature péjorativement folklorique ? Professeure québécoise, Lise Gauvin s’intéresse depuis longtemps aux rapports entre l’écriture, la poétique et la langue comme moyen d’engagement social. Dans ce nouvel ouvrage, elle s’interroge à propos des stratégies mises en œuvre par les écrivains des diverses littératures de langue française pour entrer en contact avec un public à la fois complexe et protéiforme, un public composé de lecteurs issus du pays d’origine, mais aussi de la francophonie en général. On le devine, toujours cette fameuse question : écrire pour les siens ou pour rejoindre l’universel ?
En premier lieu, Gauvin aborde le concept de la note explicative et la capacité de certains romanciers à intégrer cette trace de l’ordre du hors-texte à même leurs narrations. Si la note sert traditionnellement à apporter des précisions référentielles sur le lexique employé, elle peut également voir son statut modifié, au point d’occuper une fonction strictement poétique. Plus loin, il est question du dictionnaire, car évidemment, celui-ci se pose comme la référence suprême. Ni plus ni moins, il constitue la matière première de l’écriture. Le dictionnaire peut être utilisé au pied de la lettre, mais aussi son autorité peut être transgressée, et sa nature prescriptive remise en question. Enfin, dans la dernière partie de son ouvrage, l’essayiste parle des romanciers qui mettent en scène la réception de leur travail. Recourant à la fiction, ces écrivains proposent ainsi des lectures de leurs propres textes en montrant les attributs langagiers qui les distinguent. « Qu’est-ce qu’écrire en français ? » se demandent-ils. Surtout lorsqu’on n’est pas un Français ?