Le désir de conquérir et de maîtriser le monde par le savoir et l’expérience qui a marqué la Renaissance s’est exprimé de façon privilégiée dans le récit de voyage. Comme le montre bien Marie-Christine Gomez-Géraud, les récits de pèlerinage du XVIe siècle, véritables guides des Lieux saints, tout comme les récits de découverte, prétendent rendre compte le plus objectivement possible des lieux visités afin de constituer un objet de savoir sur le monde. Paradoxalement, ce désir d’objectivité, qui tend à reléguer au second plan l’expérience individuelle du voyageur, s’opère dans la médiation des discours et des référents culturels qui prédominent à l’époque. La relation de voyage, nous dit Marie-Christine Gomez-Géraud, « n’est jamais le fruit de la pure expérience ». « Les éléments puisés à la source de l’expérience ne forment qu’une très petite partie de la relation de voyage : la bibliothèque fournit l’essentiel de l’écriture viatique » de même qu’« entre expérience et écriture s’interposent les livres sans lesquels il serait impossible d’interpréter le monde ». Ainsi les voyageurs recourent spontanément à des archétypes bibliques et gréco-latins pour reconnaître la réalité, la répertorier et la classer. La plupart inclinent à tendre, au-dessus de la diversité et de la richesse du réel, un filet simplificateur qui permet de l’ordonner et de le maîtriser. Il s’agit d’un processus d’assimilation des connaissances qui procède par réduction de l’inconnu au connu. Par ailleurs, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, le récit de voyage s’émancipe parfois de ses cadres traditionnels pour « laisser place à une expression littéraire plus affirmée ». Afin de susciter des dévotions, le récit de pèlerinage, par exemple, vise à émouvoir le lecteur, quitte à travestir les Lieux saints parcourus. Pour se justifier auprès de ceux qui ont commandité son voyage, le découvreur ne manque pas non plus de recourir aux fleurs de la rhétorique pour rendre compte de son expédition. Bref, on assiste à « un éloignement du référent réel de l’espace étranger qui devient alors soit le prétexte à une méditation empruntant les chemins de l’allégorie, soit le support symbolique d’une rêverie ». On est encore loin de l’épanchement émotionnel des voyageurs romantiques, mais « il n’est pas faux de dire que la littérature prend peu à peu possession du genre ».
Voilà un des aspects fort intéressants abordés par l’ouvrage de Marie-Christine Gomez-Géraud dans lequel on trouve également une anthologie de textes qui, à quelques exceptions près, « n’ont pas fait l’objet d’éditions récentes ». Une partie intitulée « Approches linguistiques » s’intéresse à la parataxe ou syntaxe du récit de voyage (les marques temporelles, la liste, la digression), et aux moyens déployés par les voyageurs pour exprimer la nouveauté et l’inconnu (la comparaison, l’analogie, l’image, la mesure chiffrée, le lexique indigène, etc.). En annexe, un répertoire bio-bibliographique des voyageurs permet au lecteur de se familiariser avec les textes cités ou mentionnés au cours de l’étude.