Dans Chagrin d’école, Daniel Pennac dévoile son passé de cancre. Nous avons été surpris ou ravis de cette confidence, selon que nous étions jadis élève modèle ou rêveur inadapté. Mais un autre secret nous est révélé dans le bulletin de l’élève Pennac.
Une remarque en apparence anodine qu’un professeur a inscrite en appréciation de l’enfant dans la matière arts plastiques : « Dessine partout sauf dans la classe ». C’est cet autre talent que le beau livre Écrire permet de découvrir aujourd’hui. Un magnifique doublé.
Daniel Pennac, créateur de la mythique tribu Malaussène tant aimée, est en 2008 le dixième lauréat du Grand Prix Metropolis bleu. Le thème du festival, « L’invitation au voyage – On the road – Invitacion a viajar », sied à l’écrivain français d’origine corse, né à Casablanca en 1944, qui grandit en Afrique, en Asie et en Europe. Daniel Pennacchioni, alias Daniel Pennac, prend son nom de plume en 1973 à la publication de son premier roman – un pamphlet – pour ne pas nuire à son père officier.
Le récit autobiographique Chagrin d’école va au-delà de la surprenante confession d’échec scolaire d’un professeur de carrière, à la retraite depuis 1995, doublé d’un superbe conteur, romancier et essayiste internationalement connu, détenteur d’une maîtrise en lettres. Certains affirment que Pennac est l’auteur français contemporain le plus traduit en langues étrangères. Ses premiers pas d’écolier sont pourtant peu prometteurs. Le jeune Daniel est le raté de sa brillante famille, quatrième et dernier garçon pour qui s’inquiète encore sa maman d’aujourd’hui 102 ans, se demandant « s’il s’en sortira un jour ».
Chagrin d’école est l’éloge de ces authentiques éducateurs que quelques heureux cancres ont rencontrés dans leur enfance et qui les ont sauvés au mieux d’une tiède médiocrité, au pire d’une vie de délinquance. Pennac critique l’école mais la défend aussi, au lecteur de se faire sa propre opinion, car l’écrivain n’est guère partisan de la pensée unique. Et lui qui a été un gamin profondément dysorthographique, apprécie – et nous fait apprécier – le plaisir des mots. « C’est à cela qu’ils auront occupé leur existence : sortir du coma scolaire une ribambelle d’hirondelles fracassées. » Ainsi résume-t-il le beau métier de « l’amour en matière d’enseignement » exercé par quelques véritables instituteurs.
Qu’importe si le maître d’école rédempteur a oublié l’enfant dysfonctionnel ; le cancre, dit Pennac, se souvient fort bien du « professeur de philosophie que mon admiration surprend d’autant plus aujourd’hui que lui-même ne garde aucun souvenir de moi (il me l’a écrit) ».
Avec Écrire, Pennac illustre dans un registre complémentaire sa relation amour-haine avec l’écriture et avec l’outil de son écriture, un stylo à encre offert jadis par un grand frère. « Mes dessins disent les états où nous plonge l’écriture : le désir, l’empêchement, la rigueur, la solitude, l’exaltation, le refus, le désespoir, la libido, le doute, la gloriole. »
Pennac fait sourire lorsque rêvasse au soleil un stylo douillettement allongé sur une chaise longue. Il fait franchement rire lorsqu’un stylo devenu dard tente d’atteindre la cible des prix littéraires français et rate encore et toujours les légendaires Interallié, Médicis, Femina, Renaudot etGoncourt. Objectif depuis atteint avec le Renaudot, par contre. À la fin d’Écrire, Pennac se fait grave et force la réflexion. Un stylo à encre aplati par un tank, devant quelques petits personnages attristés, tête basse devant le massacre, indique qu’on peut aussi « [m]ourir d’écrire ».