« Je veux mourir. Je ne meurs pas. » Dès les premières phrases de Duras, l’impossible, on ravale son trouble et on se cale loin dans son for intérieur, en s’interrogeant sur la narratrice et les deux destins qu’elle soude dans un entretien privé auquel elle nous convie. Qui parle ? Elle ou l’autre, la Duras ?
Danielle Laurin dissipe vite l’énigme volontaire. En forme de volute où s’entremêlent deux voix, deux vies, son texte, qui n’est ni récit ni essai ou biographie, se lit d’un seul trait. Chacun croit posséder sa Duras. Celle de la Résistance, puis du militantisme au sein du Parti communiste français. Celle du cercle d’initiés inconditionnels qui deviendra pour certains un monstre qu’on nomme Durasoir, ruptures, dérives et scandales compris. Celle des Montréalais interdits par le soudain nihilisme durasien : « Que le monde aille à sa perte ». Celle d’après le Goncourt, qui jouait la célébrité et la provocation : « L’amant c’est de la merde. C’est un roman de gare ». Sans surprises, la mienne, profonde, libre, puissante, renvoie à India Song et à La douleur. La Duras de Laurin recoupe tous ces visages en un spectre bref, ce qui ne serait rien, écrit-elle, sans son génie d’écriture.
Duras ne semble jamais en douter. De son écriture ou de son génie, surtout de son génie. Vous avez remarqué, génie est un mot masculin qui se termine par un « e » muet. Combien de géni-e-s ont étouffé, dépéri ou sombré dans la folie ? Outre Virginia Woolf, qui ne s’est jamais souciée de cette dilapidation humaine ? Il est bon que Duras proclame : « Il se trouve que j’ai du génie, j’y suis habituée maintenant ».
Le voyage de Laure Adler intitulée Marguerite Duras, qui lui valut le prix Femina essai 1998, résonne des années plus tard dans celui de Danielle Laurin. Elle en signe d’ailleurs la préface. En pénétrant à son tour dans la cathédrale Duras, Danielle Laurin se bute d’abord aux refus des proches d’engager le dialogue. Refus de Jean Mascolo, fils de Duras, et de Dionys Mascolo, le père de celui-ci, ou d’amis qui ont rompu les liens. Une lettre reçue à Repentigny et signée de la main du « poète de la politique de gauche » et premier président de la Ve République, François Mitterrand lui-même, ranimera son désir. Il l’accueillera plus tard dans son bureau de l’Élysée pour parler de son amie et camarade de la Résistance. Il s’agit d’une amitié ancienne, confiera-t-il.
L’influence prégnante de Duras sur l’écriture de Laurin, d’une soyeuse fluidité, est assumée. La journaliste littéraire s’efface derrière sa propre intimité révélée. Son texte entretient le mystère durasien en ce qu’il ajoute une couche de légende au personnage et à son œuvre.
Le ravissement, c’est l’extase mystique. Ce peut aussi être le rapt comme celui de Lol V. Stein. Duras a ravi l’esprit de Danielle Laurin longtemps. Une ultime lettre de Laurin, en quelque sorte une reconnaissance de dette, nous remet une des clés de sa subjugation qui renvoie à Duras, dans le miroir du miroir de celle-ci. « Quand j’écris, je ne meurs pas. »
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