Plus de 140 ans après la mort du célèbre auteur russe, Julia Kristeva prouve à nouveau que Dostoïevski est bien plus grand que son époque, et s’adapte plutôt bien à la nôtre.
D’entrée de jeu, s’appuyant sur la fameuse citation tirée des Frères Karamazov, Kristeva place Dostoïevski dans l’ère moderne : à un siècle où les technologies sont au cœur de notre existence, il semblerait qu’enfin, pour les internautes, tout soit finalement permis. Dostoïevski permettrait alors, selon Kristeva, une « expérience intérieure » à ceux qui vivent enfin cette liberté sans limites.
Cette expérience, Kristeva l’a visiblement vécue, et souhaite la partager avec son lecteur. Entre divers passages de sa théorie psychanalytique, la philosophe nous raconte sa fascination pour l’auteur russe, nous offrant plusieurs anecdotes autobiographiques qui expliquent sa rencontre avec l’œuvre de Dostoïevski. L’ouvrage comporte également de forts accents biographiques, qui servent à étayer la théorie de Kristeva. Est-il possible de faire l’analyse psychanalytique d’une œuvre sans prendre en considération la vie de l’écrivain ? À lire l’ouvrage de Kristeva, on serait bien tenté de répondre que non, et pourtant : si la philosophe s’appuie sur la vie de Dostoïevski, c’est pour expliquer la forme, plutôt que le contenu. Le résultat n’en est que plus convaincant.
Ainsi, plus que toute autre chose, ce qu’on retient de Dostoïevski face à la mort, c’est le nouveau regard que porte Kristeva sur les caractéristiques que l’on connaît des œuvres dostoïevskiennes. Les habitués de l’auteur russe seront peut-être familiers avec La poétique de Dostoïevski de Mikhaïl Bakhtine, où celui-ci développait en profondeur tout ce qui constitue le roman dostoïevskien. En utilisant la psychanalyse pour transcender l’œuvre de Dostoïevski, Kristeva offre une explication à sa poétique : « À travers le culte de la souffrance, [elle] repère la jouissance de l’écriture, en contact avec une dimension essentielle de la condition humaine : l’avènement et l’éclipse du sens par et dans le clivage ».
Les férus de Dostoïevski auront assurément beaucoup de plaisir à lire Dostoïevski face à la mort, et voudront certainement relire d’un nouvel œil certains des romans de l’écrivain russe. L’essai de Kristeva saura aussi plaire aux nouveaux lecteurs, même ceux n’ayant pas lu l’ensemble de l’œuvre dostoïevskienne. En somme, Dostoïevski face à la mort est un parfait complément à cette « expérience intérieure » chère à Kristeva, et qui est au centre de l’œuvre de Dostoïevski.