Yasmina Khadra publie en moyenne un roman par année, alors, parfois, forcément, ça dérape. Dieu n’habite pas la Havane est un de ces textes où, connaissant certaines réussites de l’auteur, le lecteur espère à chaque page retrouver enfin Khadra tel qu’il l’a déjà fréquenté, par exemple dans Les anges meurent de nos blessures (Julliard, 2013).
Il y a pourtant dans ce roman les ingrédients potentiels d’une réussite : un lieu mythique, Cuba ; un héros flamboyant, nommément Don Fuego, chanteur de charme ; une héroïne dangereuse et mystérieuse ; une famille aux filiations éclatées et nombreuses qui évoque vaguement et sans puissance les grandes sagas romanesques latino-américaines. Il y a aussi par-ci, par-là des personnages étranges et fabuleux comme ce musicien virtuose au son inimitable qui refuse toutefois obstinément de faire de la musique, si ce n’est pour pleurer son chien décédé.
Le roman tente aussi une représentation de la société cubaine à un moment de transition, où certaines institutions nationales vénérées se privatisent et où les divers détournements du système officiel sont pratiqués par tous. Certains ne rêvent que de quitter cet univers de l’impuissance citoyenne. La Havane est à l’abandon alors même que prospèrent les fêtes officielles et les discours-fleuves.
Enfin, le tout est agrémenté d’une histoire d’amour sur laquelle se sont concentrées les pages les plus lyriques du roman et d’une histoire de meurtres en série, plus ou moins résolus à la fin.
Il est vrai qu’on croise aussi de temps en temps dans ce texte les questionnements fondamentaux de Khadra : la solitude essentielle de chacun, l’oisiveté qui guette et qui creuse plus profondément encore le sillon de l’isolement au fond de soi, la quête d’un ancrage au sein d’un groupe ou d’un couple en même temps qu’est négligée la cellule familiale première, pourtant présente et solidaire. Se jeter dans les mauvais bras alors que les bons sont grand ouverts, c’est un schéma récurrent du texte khadréen.
Malheureusement, les voies des multiples récits se closent mollement ou sont délaissées au cœur d’un fouillis non maîtrisé. La distance ironique, explorée par Khadra dans ses fictions les plus récentes, est abandonnée pour un pathos peu crédible, aussi peu crédible, d’ailleurs, que cette socio-topographie cubaine fabriquée. Le roman manque de densité et de souffle.
Vivement le prochain Khadra.
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