L’introduction de Marc Picard à son Dictionnaire des noms de famille du Canada français nous en apprend beaucoup sur la complexité de l’anthroponymie francophone nord-américaine et sur ce qui en fait l’unicité par rapport à la branche française dont elle est majoritairement issue. Depuis le début du XVIIe siècle, 400 ans d’histoire ont modifié, parfois considérablement, l’orthographe et la prononciation des patronymes des premiers arrivants français en Nouvelle-France. Il faut également tenir compte de l’addition des noms étrangers, principalement d’origine anglaise et celtique, mais aussi allemande, basque, portugaise, espagnole, belge…
L’auteur avait d’abord conçu son ouvrage dans la tradition des dictionnaires étymologiques des Albert Dauzat, Marie-Thérèse Morlet et Jean Tosti. Puis il a bien vite dû avoir recours à la généalogie à cause du rôle important joué par celle-ci dans la détermination de l’origine des noms de famille canadiens-français. Combinée aux données anthroponymiques, cette recension généalogique fait dès lors du Dictionnaire de Marc Picard « une source d’information […] unique en son genre ».
Chaque article comprend ainsi deux volets. Le premier a trait à l’origine des patronymes, lesquels peuvent provenir d’un toponyme (Gascon, Saintonge), d’un nom de métier (Cloutier, Saucier), d’un trait physique (Lebrun, Baril) ou caractériel (Doucet, Léveillé), d’un lien de parenté (Cousineau, Legendre), d’un nom étranger, modifié ou non (Vignola, Chapados)… Dans ce défilé des souches anthroponymiques, on note tout particulièrement la fréquence des surnoms de soldats (Lavigueur, Lagacé) et des noms de localités françaises (Plante, Plamondon). De plus, nombreux sont les cas d’agglutination, d’altération, d’altération d’agglutination, de variantes, de dérivés, de formes régionales… De nature généalogique, le second volet indique ensuite « idéalement […] le nom du premier porteur suivi de celui de ses parents, de son lieu d’origine, du nom de son épouse ainsi que ceux de ses parents, et du lieu et de la date de leur mariage », survenu au Québec la plupart du temps. Marc Picard s’en est par ailleurs tenu à « l’identification des ancêtres dont les patronymes se [sont] rendus jusqu’à nous » et a laissé de côté « ceux dont la descendance [s’est] éteinte en cours de route ».
En dépit des vastes recherches dont il témoigne, le Dictionnaire demeure « incomplet », de l’aveu même de son auteur : « […] faute de données ou simplement par inadvertance, plusieurs ancêtres n’ont pu être identifiés, particulièrement dans le cas d’arrivants récents ». C’est sans doute ce qui explique l’absence des Foster, Tard, Nepton, Blackburn, Otis… Malgré son inachèvement, le répertoire de Marc Picard offre une quantité d’informations étonnante, et souvent surprenante. On apprend par exemple que le patronyme Léger ne provient pas d’un trait caractériel, comme sa forme le suggère, mais d’un nom germanique issu lui-même de deux mots allemands. Les Dion, Godbout, Béland, Girard et autres Angers sont aussi de provenance allemande. Les Jasmin, Barabé, Jean, Sabourin et Salvail ont pour leur part des origines perse, araméenne, hébraïque, occitane et italienne. La liste de ces intéressantes découvertes peut facilement s’allonger.