Chaque événement de la vie monomane de Moe tend vers la création de sa « Ballade ad vitam æternam, pièce pour orchestre de chambre et métronome en deux mouvements opposés et synchrones ». Mais avant d’accéder à la vie éternelle la postérité, peut-être , il faut souffrir : « […] j’agonisais à ma table, recopiant ces trois notes qui refusaient à la page l’inscription d’un quatrième signe, l’épanouissement d’une musique dont je sentais qu’elle me vouait à la destruction ». Le diabolus in musica, ce sont ces « trois petites notes incorrigibles », ce triton, ce triptyque, cette diabolique trinité dont le rythme ternaire « un deux trois un deux trois » s’emballe comme une obsession, un enfermement.
L’histoire de Moe, c’est celle de l’œuvre qui se cherche en lui, dans une lente et douloureuse maturation : « Je ne suis pas en mesure de dire combien de ces jours affreux s’écoulèrent où le métronome battait en brèche mon âme vide comme l’éternel mendiant que je voyais, matin et soir, battre la semelle sur les quais ». Et l’histoire de son œuvre, c’est celle de sa vie, de ses rencontres, scandée au rythme incantatoire de son métronome de collection, inspirateur et destructeur tout à la fois.
Né en 1972, Yann Apperry, librettiste d’opéra et auteur de théâtre, partage sa vie entre Paris et Rome, où il a été pensionnaire à la Villa Médicis. Le Prix homophone et homographe lui a été décerné pour Diabolus in musica son troisième roman qui se détache très nettement de la production littéraire française actuelle, ne serait-ce que par son style : maniériste souvent, baroque parfois, érudit toujours, il nous fait la grâce de son talent atypique.
Avec le récit de cet air que Moe a toute sa vie durant sur le bout de la langue, Yann Apperry nous montre qu’il connaît la musique… sur le bout des doigts. Le choix des mots lui-même ne doit rien au hasard : « rythme », « cadence », « tempo », « syncope » et même… « porte-tambour » ; tout nous ramène à la pulsation originelle qui, tel un écho des battements d’un cœur arythmique, essoufflé, sur la brèche, nous rappelle que la vie s’écoule, tempo rubato.