Favorisé par le progrès des transports, le récit de voyage connaît un essor sans précédent dans la seconde moitié du XIXe siècle. Au Québec en particulier, près de 200 récits sont publiés en volumes, soit deux fois plus que la production romanesque, feuilletons compris. La plupart de ces textes édités à l’époque sont parfois difficiles à retrouver sur les rayons de nos bibliothèques. De ce point de vue, il y a lieu de saluer ici la réédition de l’un de ces textes publié en 1888. Mais en même temps, une question apparaît incontournable : pourquoi ce récit plutôt qu’un autre ? Certes, le récit de l’abbé Napoléon Caron contient des pages fort instructives sur les missions du Saint-Maurice, de nombreux détails géographiques, historiques et légendaires de la Mauricie, sans compter les bons mots et les traits humoristiques dont il est parsemé. En fait, l’abbé Napoléon Caron qui accompagne en 1887 Mgr Louis-François Laflèche dans sa première visite pastorale en Haute-Mauricie, et qui entreprend l’année suivante une seconde excursion mais dans le Bas-Saint-Maurice cette fois, est l’un des premiers à décrire cette région, de même que la vie et les mœurs de ses habitants. D’abord animé par un but apostolique, le prêtre laisse place à l’ethnographe, au géographe, au naturaliste et surtout à l’historien, pour lequel décrire un lieu, une coutume, un usage, une croyance consiste bien souvent à retrouver leur origine et à raconter les événements historiques et les légendes auxquels ils sont associés. « Depuis la Rivière-Croche jusqu’aux Piles […] depuis les Piles jusqu’à l’antique cité des Trois-Rivières », le périple de l’abbé Caron, mais surtout le récit qu’il en a fait, l’amène à se considérer comme « l’historien du Saint-Maurice » pour ne pas dire plus : « Allez sur ces parages, si vous voulez retrouver le type des anciens Canadiens. »
Ces caractéristiques ne suffisent toutefois pas à démarquer ce récit de la vaste production qu’a suscitée à l’époque l’importante campagne en faveur de la colonisation. L’éditeur Denis Vaugeois, qui a annoté le récit de Caron, avoue que la réédition de cet ouvrage est avant tout un choix personnel : « En plus de faire résonner à mes oreilles les noms de lieux de mon enfance, ce récit m’a mis en contact avec mes ancêtres. Il les a fait revivre, l’espace de quelques lignes. Il les a fixés dans notre mémoire. J’avais envers l’abbé une dette personnelle. » Souhaitons que d’autres éditeurs éprouvent un semblable « coup de cœur » pour des récits de voyage, notamment ceux d’Henri-Raymond Casgrain, d’Arthur Buies, de Faucher de Saint-Maurice, d’Adolphe-Basile Routhier et de bien d’autres écrivains du XIXe siècle.