Pour les amoureux de Venise, même ceux qui ne sont pas amateurs de polars, les enquêtes du commissaire Brunetti sont des incontournables. Il faut dire que bien qu’elle soit d’origine américaine, l’auteure Donna Leon est chez elle dans cette ville magique où elle habite depuis des lustres. Elle garde sa vision d’étrangère, bien entendu, mais elle partage son attachement à la Sérénissime avec générosité. Tout comme son personnage fétiche, l’auteure semble connaître chaque canal, chaque calle, chaque campo de l’archipel italien. La 20e enquête de Brunetti, Deux veuves pour un testament, est conforme à la règle et nous amène en voyage dans les méandres de la plus belle ville du monde.
Une dame âgée et vivant seule, Costanza Altavilla, est retrouvée morte chez elle, dans un des sestieri (quartiers historiques) de Venise, baignant dans son sang. Est-elle tombée ? A-t-elle eu un malaise ? Ou a-t-elle été assassinée ? Et si oui, pourquoi ? « Elle se força à se pencher en avant pour regarder par la porte entrouverte. ‘Constan…’ Elle s’interrompit et porta brusquement une main à sa bouche tandis qu’elle découvrait un avant-bras posé sur le sol. Puis un bras, une épaule, une tête, ou plus exactement une nuque. Et des cheveux blancs portés courts. »
L’enquête du roman est plutôt classique. Ce qui donne du piquant et fait l’intérêt de l’histoire est moins la structure littéraire de l’intrigue ou son déroulement que les thématiques abordées : bénévolat, femmes battues, personnes âgées, immigration clandestine, vol de tableaux et falsification de documents, tout y passe. En plus de jouer la carte de l’exotisme vénitien, Donna Leon donne souvent une coloration sociale et politique à ses œuvres, révélant ainsi ses croyances profondes.
Dans cette ville unique, sans auto et où la solidarité communautaire est importante – car les Vénitiens fraternisent beaucoup dans leurs déplacements à pied ou en vaporetto –, la contribution des petites gens à l’enquête se révélera plus utile que celle des patriciens plus ou moins snobinards. L’humanité de Brunetti, de sa sympathique famille et de sa divertissante équipe de policiers ne se dément pas.
Les Vénitiens portent sans doute plus que d’autres peuples le poids de leur histoire et leurs crimes y paraissent plus cruels qu’ailleurs. Dans une ville sublime qui s’abîme tout doucement dans les flots, abandonnée par sa population et laissée à l’abandon, les meurtres crapuleux nous touchent particulièrement. Et signora Leon est plus en forme que jamais.