Martine Audet continue son humble travail de poète avec Des voix stridentes ou rompues. Humble, au sens où, comme celui de Jacques Brault, il a lieu en dehors des évidences, de la clarté commune, des grands éclats théâtraux. La langue entre leurs mains d’horlogers est toute matérielle, petits mécanismes qu’il faut démonter puis remonter. Une fois reconstruite, elle ne donnera plus jamais la même heure.
« J’ai tendu la main vers les nuages / Ce n’était pas vraiment une langue », écrit la poète dans son texte d’ouverture. Si ce n’était pas vraiment une langue, ce n’était pas tout à fait des nuages, c’était plus que des nuages, quelque chose qui semblait dire. Dans cet intense recueil, on cherchera, par-delà la mort peut-être, une voix, des voix – stridentes ou rompues. Durement prélevées du monde, bien que de façon partielle, fragmentaire, elles révéleront une expérience brute à la limite du silence. Pour la signifier, les mots, les concepts seront détournés de leur sens usuel ; communément, c’est ce qu’on appelle un poème. Mais la particularité de cette démarche-ci réside dans le jeu subtil entre écart et rapprochement. Écart entre langage et monde, et paradoxalement rapprochement par cet écart vers l’essence du monde : « Une parole partage / Des arbres / Le nom ».
La poète tient entre ses mains page après page la même matière – vent, nuages, ciel, arbres – l’enserre, la tord de multiples façons. Il y a chez elle une sorte d’entêtement à vouloir faire parler l’extrémité de l’existence. Entêtement bien sûr contraire au renoncement. Mais, comme elle l’écrit : « Croire / Ce n’est pas ça / Que je regarde », évoquant par là une possible confusion entre la foi et cette obstination purement humaine, qui se rapproche du simple désir de vivre. Où cela mène-t-il ? Comment savoir où l’on va « avant de se perdre » ?
Dans ce superbe recueil aux images réinventées, Martine Audet nous communique une expérience singulière, pour ne pas dire solitaire, du réel et de l’écriture.