Voici réunies deux contributions majeures de Jacques Lacan, proposées dans une suite qui leur procure un relief spécifique. Le premier texte, intitulé « Le symbolique, l’imaginaire, le réel », traite, avec en arrière-fond les avancées de Claude Lévi-Strauss, des trois registres fondamentaux quoique absolument distincts de la réalité humaine pour en venir à proposer un schéma du déroulement hypothétique d’une cure analytique. Mais justement, pour que celle-ci soit pensable, il faut commencer par se poser la question de ce qu’il en est de la parole, de ce qu’elle représente dans l’échange entre les humains.
Or, cette conférence, prononcée le 8 juillet 1953, prend place à un moment crucial de la pensée de Lacan et du mouvement psychanalytique français et, plus largement, mondial. Nous sommes en effet juste avant le fameux « Fonction et champ de parole et du langage en psychanalyse », texte vivement critiqué par Jacques Derrida (dans le célèbre « Facteur de la vérité ») mais dont on peut dire qu’il revient à Freud en reprenant la thèse que l’expérience analytique se fonde avant tout sur la parole, le sujet se constituant comme humain en tant qu’effet de langage et de signifiant. L’idée lacanienne que le petit d’homme est parlé (par ses parents) avant que de parler rejoint les postulats de Françoise Dolto qui participe d’ailleurs avec d’autres à la discussion suivant la conférence. De plus, c’est la première fois qu’est articulée la fameuse triade imaginaire, symbolique et réel, laquelle portera toute l’œuvre de Lacan jusque dans son déploiement topologique.
Quant au second texte du volume, « Introduction aux Noms-du-Père », il s’agit de la transcription de la seule séance, tenue le 20 novembre 1963, d’un Séminaire que Lacan allait aussitôt interrompre et qu’il ne reprendrait jamais sinon, en 1973, sous le titre Les non-dupes errent. S’ouvre cette fois l’immense question du Père et de sa nomination. Dans le processus par lequel la fonction du père réalise la sortie du sujet hors du champ du désir de la mère, le pacte symbolique que représente le Nom-du-Père noue les mots et les choses pour le « parlêtre », lui donnant ainsi sa place dans le réel.