Avantageusement connue comme pourfendeuse d’un islam glissant de plus en plus vers un traditionalisme rétrograde, Djemila Benhabib utilise une nouvelle fois sa plume acérée pour décrire le quotidien des femmes arabes à la suite des révolutions tunisienne et égyptienne. Car, dit-elle, « je suis persuadée que le prisme de la situation des femmes permet de déterminer le succès ou l’échec des révolutions ».
La Québécoise d’origine algérienne se rend donc sur place : au Caire, en Égypte, et à Tunis, en Tunisie, quelques semaines après les événements historiques qui ont bouleversé ces deux pays (au début de 2011), pour analyser le sort réservé aux femmes et le combat incessant qu’elles doivent continuer de livrer pour maintenir leurs minces acquis.
L’auteure a le grand mérite de mettre le doigt sur l’un des moteurs, trop peu documenté, de la poussée islamiste : au-delà du désarroi économique qui frappe des pays arabes, l’« obsession de la chair », centrée autour de la tenue vestimentaire des femmes, occupe une place démesurée dans le discours intégriste diffusé dans ces pays.
« Ce n’est pas tant par piété que par résignation que plusieurs femmes portent le voile. Elles doivent se résoudre à faire oublier leur corps, car ce n’est qu’en devenant invisibles qu’elles peuvent prétendre à l’existence. » Si bien que, poursuit l’écrivaine, « l’émancipation sexuelle est un combat décisif contre l’assujettissement social et culturel ».
Même combat, quoique moins lourd en Tunisie, puisqu’il s’agit du pays le plus avancé du monde arabe en matière de relations homme-femme. Or, même dans le pays du jasmin, « la vie post-révolutionnaire oscille entre les moments d’espoir et les jours de grande déprime ». Le dur combat que se livrent religieux et laïques, au sein duquel les femmes occupent une position centrale, démontre que la démocratie, avec sa nécessaire acceptation de la différence, de l’altérité, du respect de la vie privée, ne se fera pas sans heurts maintenant que les islamistes tunisiens, autrefois réprimés, accaparent les principaux leviers du pouvoir.
En somme, un excellent document, qui se lit d’un trait comme un long reportage, pimenté par une expérience de terrain et une sensibilité qui nous permet de mieux saisir la réalité quotidienne d’un monde arabe vraiment en ébullition, dont l’histoire s’écrit au jour le jour.