Au temps de l’Inquisition, Sarah Waters aurait incarné avec une sadique compétence la tortionnaire idéale. Elle excelle, en effet, à rendre irrespirable l’atmosphère dans laquelle elle plonge ses personnages et ses lecteurs. À deux doigts du drame gothique dans L’indésirable (Alto, 2010), Sarah Waters situe cette fois dans une Angleterre mal remise du premier conflit mondial une intrigue traversée de craintes toxiques et où toutes les issues imaginables semblent scellées à jamais. Exploit trop rarement réussi, l’auteure parvient pourtant à terminer son récit sur un dénouement plausible, logique et inattendu.
À court d’espoirs affectifs lumineux, deux femmes vivent à l’essai un amour interdit. Au moment où se dessine une embellie dans leurs destins, un drame survient qui leur vaut, plutôt qu’une affection partagée, la pression policière et les brûlures de la culpabilité. Lilian est mariée à Leonard, un enjôleur auquel elle fait modérément confiance ; Frances, qui vieillit dans un célibat blafard et dont la mère loge le couple de Lilian et de Leonard contre rémunération, amorce avec Lilian sa seconde expérience d’homosexualité. Au cours d’une soirée où les trois boivent à l’excès, Leonard serre Frances de trop près et s’attire la réplique musclée des deux femmes. Les coups pleuvent et Leonard s’écroule. « […] même si, en se retournant, elle [Frances] voyait Lilian juste derrière lui, tenant entre ses mains, comme une matraque, un objet qu’elle ne pouvait identifier – c’est quoi ? Ah oui, le cendrier, le cendrier ! –, elle ne comprit pas en quoi le cendrier ni Lilian pouvaient avoir un quelconque rapport avec sa chute. » Le rapport s’impose pourtant : Leonard est mort.
Le roman entre alors dans sa phase la plus nerveuse. Les deux femmes déplacent le cadavre jusqu’à la ruelle voisine et remettent les lieux en ordre. Vont-elles pouvoir donner enfin libre cours à leur amour ? La présence policière leur interdit pareille imprudence. Une surprise survient : induite en erreur, la police arrête et accuse un individu dont Frances et Lilian savent trop bien l’innocence. Est-ce enfin l’accalmie souhaitée par les deux femmes ? Non, car elles refusent l’une et l’autre qu’un innocent paie pour un crime dont elles s’estiment coupables. L’impasse est étanche : ou bien des aveux dont elles feraient les frais ou bien le silence qui empoisonne et tarit leur amour.
Il fallait tout le talent de Sarah Waters pour résoudre sans complaisance une alternative aux branches toutes deux invivables.
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