Pour la passionnée de trains et de nouveaux ailleurs que je suis, le sujet de Déraillements était vendu d’avance, véritable invitation au voyage. Quand à l’érudition, au style rigoureux, au talent d’écriture de Robert Lévesque, tous largement reconnus malgré – ou à cause de – la réputation sulfureuse de l’écrivain, ils ne pouvaient qu’enrichir les histoires proposées. Ce qui fut fait et bien fait, le livre ne déçoit pas.
En quelque 30 textes où s’entrecroisent gares, voitures-couchettes et wagons-restaurants, Lévesque explore les univers de nombreux grands de la littérature, de Butor à Rimbaud, de Ferron à Ibsen, de Buies à Joyce. N’en jetez plus, la cour est pleine. En effet, plusieurs écrivains répondent à l’appel, voyageurs sur un quelconque chemin de fer, devenus sujets d’une courte aventure ferroviaire bien ramassée. « Le train filait son allure de train. Dans un reflet s’attardant sur la vitre de son compartiment, [Michèle Desbordes] imagine le sourire de son être cher, de son gisant, un court instant. »
Lévesque a su, par son impressionnante recherche et par sa fascinante capacité à tisser des liens, recréer en quelques pages la séduction exercée par les trains sur les écrivains choisis. L’auteur connaît ses classiques : « Longtemps, Marcel Proust prit des trains de bonne heure ». Lévesque n’a pas oublié Kafka, qui ouvre et clôt l’ouvrage, autant lorsqu’il rêve d’une danseuse russe dont « le train partait tout de suite » que lorsqu’il raconte son « premier grand voyage en chemin de fer [Prague-Zurich] ».
La troublante thématique du train et de la mort fait aussi partie de l’itinéraire. Gabrielle Roy retourne à Saint-Boniface après avoir appris la mort de sa mère et Robert Desnos monte dans un wagon à bestiaux, en route vers Auschwitz.
En 2011, Robert Lévesque est lauréat de la bourse offerte par l’Union des écrivaines et écrivains québécois, laquelle inclut une résidence d’écriture à Petite-Rivière-Saint-François. Souhaitons que Charlevoix lui inspire de nouveaux itinéraires qu’il voudra bien partager.