Invité à se rendre à Chicago dans le cadre d’un programme d’échanges, Aleksandar Hemon assiste au siège de sa ville natale, Sarajevo, depuis son lieu d’exil. Dans son roman, De l’esprit chez les abrutis, Hemon semble aussi entretenir une certaine distance avec les événements qu’il relate. En revanche, il s’agit cette fois d’une stratégie délibérée qui permet d’observer les événements avec une objectivité maximale. Hemon se garde notamment de proposer un récit monologique et choisit au contraire d’adopter un mode de narration éclatée, qui autorise la multiplication des points de vue.
Mélangeant habilement les genres (saga familiale, témoignage, roman d’espionnage, etc.), Hemon compose plusieurs récits relativement autonomes, qui se rapportent tous à l’ex-Yougoslavie. Il parvient ainsi, sans jamais céder à la tentation du roman à thèse, à présenter une véritable radiographie de l’histoire de ce pays au siècle dernier, depuis l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo jusqu’au siège de la capitale bosniaque, 80 ans plus tard.
C’est souvent à travers les yeux d’enfants ou de personnages simples que la réalité nous est présentée, ce qui a pour effet de mettre au jour avec encore plus d’évidence les aspects les plus absurdes des comportements humains À cet égard, l’épisode relatant le siège de Sarajevo (où l’humour se mêle à une lucidité sans complaisance) révèle la capacité du genre romanesque à révéler des vérités inaccessibles aux images de la télévision.
Joyce a déclaré : « L’Histoire est un cauchemar dont il faut se réveiller ». Hemon semble avoir écrit De l’esprit chez les abrutis pour réaliser ce vœu.