Quand quatorze jeunes femmes ont été assassinées par un tireur fou à Polytechnique le 6 décembre 1989, je vivais à l’étranger et j’ai appris la tragédie dans Time Magazine. Je me rappelle avoir pleuré, incrédule. Qu’une pareille chose se soit produite à Montréal me bouleversait d’autant plus que dans ma vallée paisible de l’Inde rurale, tout respirait l’ahimsa, cette non-violence si chère à Gandhi.
Heidi Rathjen, elle, était là, à Polytechnique, quand Marc Lépine a exterminé quatorze « féministes ». Étudiante de quatrième année, Heidi terminait un rapport d’hydraulique au local des finissants quand les coups de feu ont éclaté. Barricadée dans le noir avec quelques autres, elle a attendu, le cœur battant, que cela cesse. Ce n’est que lorsqu’elle aura à s’occuper des familles des victimes au nom de l’Association étudiante qu’elle réalisera toute l’ampleur de la tragédie. Et c’est par un pressant besoin de passer à l’action en mémoire des victimes qu’Heidi Rathjen a pensé, en ingénieure, à l’aspect le plus terre à terre de la question : « Le tueur aurait-il fait tant de morts sans une arme d’assaut de haute puissance ? »
Après nous avoir fait saisir toute la dimension émotive de son objectif, Heidi Rathjen, avec la complicité de Charles Montpetit, scribe discret de ce livre écrit à la première personne du singulier, nous entraîne dans un récit palpitant. D’une première pétition à la rencontre avec Wendy Cukier de Toronto puis à la fondation de la Coalition pour le contrôle des armes, on suit avec un intérêt soutenu la lutte des deux jeunes femmes qui réussiront à manSuver de façon stratégique dans les coulisses du pouvoir contre le puissant lobby des armes jusqu’à l’adoption de la loi C-68. Six ans après la tuerie de Polytechnique, le 5 décembre 1995, le gouvernement canadien légiférait enfin sur le contrôle des armes. On se surprend à trouver passionnante une histoire d’amendements recommandés au Sénat par mesure dilatoire, ce qui n’est pas le moindre mérite de ce livre remarquablement clair et convaincant.
Fille d’immigrants récents, Heidi Rathjen raconte qu’à la suite des rebuffades subies dans la cour d’école, elle a jadis pris la décision de ne jamais se laisser aller à mépriser qui que ce soit. C’est peut-être son attitude à l’égard des puissants adversaires dont les idées s’opposent aux siennes qui lui a permis de réussir à faire changer le cours des choses, malgré son inexpérience politique, avec pour toute motivation le désir que Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault et Annie Turcotte ne soient pas mortes en vain.