Ce petit ouvrage regroupe les textes de communications prononcées par des spécialistes de l’art et de la littérature lors du colloque De la monstruosité, expression des passions (Espace D. René Harrison, mars 1999). Ne grimaçons point, il est des essais sérieux issus de symposiums qui n’inspirent pas la moindre inappétence ; celui-ci, d’ailleurs (le titre n’y est pour rien !), ne souffre d’aucune infirmité. Il est doté d’une constitution solide et répond aux canons de l’élégance éditoriale.
Nous vivons à l’ère de l’image, qui s’est emparée de nos vies et de nos imaginaires. Au commencement de ce livre à plusieurs mains est une citation de Mary Shelley, géniale inventrice de Frankenstein : « Je n’avais jamais vu ni entendu quelqu’un qui me ressemblât. Étais-je donc un monstre ? ». Là est la question. Entre fascination et répulsion, le moins que l’on puisse dire c’est que la monstruosité ne laisse pas indifférent. Son image dans l’art refléterait même notre conscience de l’immanence du mal. Un art peuplé de créatures démiurgiques et d’êtres hybrides qui figurent notre propre image spéculaire. Entre « monstre » et « montrer », issus tous deux du latin monstrare, existe une stupéfiante gémellité sémantique que nous explique à merveille Pierre Ouellet, dans une courte histoire étymologique du mot monstrum, intelligente et spirituelle. Les auteurs, qui rivalisent de talent, évoquent tour à tour ce « moindre écart monstrueux » ‘ car par « addition de légères transformations, on arrive à produire du différent, parfois un être distinct » ‘, ou encore ce « brouillon interminable et indécis [ ] qu’on ne peut ‘accommoder’, au sens optique de ce verbe ». Autrefois, on cachait la monstruosité ; la modernité, elle, s’emploie à rendre visible le visible, fût-il intolérable. Mais si le monstre nous divertit d’une monstruosité autrement plus terrifiante, il reste que le paradoxe est cruel, nous dit-on, qui « dénie la mortalité au siècle de l’extermination ».
Philosophique, artistique, littéraire, le propos exhibe la brillante singularité d’une intense réflexion. En conclusion, cette phrase d’une justesse effarante : « tout ce qui vient d’être dit de la monstruosité aurait pu l’être de la beauté avec les mêmes mots ». Ut pictura poesis, s’écrierait Horace ; et le lecteur de refermer ce recueil avec la sensation de s’être enrichi d’une quantité éléphantesque d’arguments. Comment diable une telle chose est-elle encore « envisageable » de nos jours ?