Dans cet essai conçu en réponse à un autre essai, on trouve des réflexions souvent pertinentes, notamment sur le nationalisme québécois, l’immigration et la laïcité. Les thèmes abordés y sont toutefois rapidement expédiés et de manière peu engageante.
Pierre Dubuc est le rédacteur en chef et directeur de L’aut’journal, une publication mensuelle qu’il a fondée en 1984. Il fait paraître son dernier essai aux éditions du Renouveau québécois, organisme propriétaire du journal qu’il dirige.
Il faut reconnaître à Pierre Dubuc, étiqueté indépendantiste de gauche, une fidélité à ses engagements couplée à une volonté constante de prise en compte de l’évolution sociopolitique québécoise et internationale. Cela dit, l’essayiste a tendance à émettre des jugements à l’emporte-pièce, sans se donner la peine de produire le poids suffisant de preuves à l’appui.
En présentation de son essai, Dubuc dit avoir été interpellé par La grande déception de Francis Boucher (Somme toute, 2018), livre dans lequel des Québécois issus de l’immigration expliquent comment ils se sentent exclus du projet indépendantiste, surtout en raison de gestes du Parti québécois témoignant selon eux d’un repli identitaire. Il résume ensuite La grande déception dans un premier chapitre, qu’il conclut en adressant à Boucher et à ses interlocuteurs cette question : « Dans quel camp êtes-vous ? Dans le camp de la lutte d’émancipation nationale et sociale du Québec ou dans le camp de l’oppression et de l’exploitation, dans le camp du Canada ‘postnational’, colonisateur et impérialiste ? » Dès ce point de l’exposé, on aurait aimé savoir ce que l’auteur entend par le choix de l’un ou l’autre camp. Mais on passe aux thèmes spécifiques de l’immigration, du nationalisme, de la laïcité, de la « question noire » et de la « question autochtone », traités dans les huit chapitres suivants.
Au sujet de l’immigration, le directeur de L’aut’journal affirme que s’opposer à l’abaissement du seuil des admissions (comme l’a proposé le gouvernement Legault), équivaut à se ranger du côté du Canada colonial. Sur le thème du nationalisme, les distinctions rappelées par Dubuc entre nation, peuple et minorités nationales sont éclairantes. Par contre, il distingue dans un encadré explicatif des cas d’individus tout à fait assimilés à la nation québécoise, donc membres à part entière de la nation, par rapport à d’autres, seulement « bien intégré[s] ». Or, le concept de nation s’applique d’abord à des collectivités et il est toujours aussi périlleux qu’inutile de chercher à déterminer une à une les personnes qui en font partie. Dans un autre chapitre, une dizaine de pages sont consacrées à critiquer le sociologue et auteur Mathieu Bock-Côté, qualifié de « figure emblématique de la droite au Québec ». Si ce segment illustre le conservatisme de Bock-Côté, il ne suffit pas à en faire un porte-étendard de la droite. D’ailleurs, ce concept de « droite », dont le sens est sans doute relativement bien cerné dans le contexte de L’aut’journal, devrait être plus explicitement défini dans le cadre d’un essai. Sur la laïcité, Dubuc vilipende avec raison l’opposition du parti Québec solidaire à la Loi sur la laïcité de l’État adoptée en juin 2019, une orientation qui revient à « réduire la question de la laïcité à une affaire de droits individuels ». Mais, en laissant entendre que les représentants de cette tendance sont le jouet des islamistes radicaux, l’essayiste succombe à cette manie de simplification qu’il s’évertue pourtant à dénoncer. Enfin, Dubuc semble nier, comme une certaine vieille garde péquiste, la possibilité d’existence de partis indépendantistes québécois dotés de programmes politiques autonomes et divergents sur maints aspects sociétaux. Ces partis, comme Option nationale en d’autres temps et comme Québec solidaire aujourd’hui, existent pourtant. Cette donnée nouvelle devrait inciter le Parti québécois, s’il tient à survivre, à jouer pleinement son rôle de parti politique et à délaisser sa prétention au statut de coalition.
Que le contenu d’un essai entretienne le débat, cela est dans l’ordre des choses, mais la manière est ici de nature à indisposer. Dès le titre de l’essai, Dans quel camp êtes-vous ?, le malaise pointe. Ce titre renvoie à la chanson Which side are you on?, écrite par la poète et militante étatsunienne Florence Reece en 1931, au cœur de luttes ouvrières violentes dans le secteur minier, où il était impératif de choisir soit le camp syndical, soit le camp du patron. Les enjeux soulevés par Dubuc sont toutefois d’une autre complexité et, s’il est vrai qu’en dernière analyse ils imposent des choix, il n’est pas dit qu’ils se réduisent toujours à deux seules options, le pour et le contre. Aussi, lorsque, à la fin de chaque chapitre, de même qu’en conclusion, est assenée la question « dans quel camp êtes-vous ? », le lecteur peut se sentir mis en demeure. Les chances de rallier à sa cause au moyen de ce procédé me paraissent plutôt minces.