Choisi meilleur livre de l’année par le New York Times et le Washington Post au moment de sa parution en 2009, gagnant du Man Booker Prize la même année, le premier tome d’À l’ombre des Tudors, Le conseiller, raconte la jeunesse et l’ascension de Thomas Cromwell, l’humble fils de forgeron qui deviendra l’un des plus puissants personnages politiques du XVe siècle anglais. Sur cette période tumultueuse de l’histoire d’Angleterre, marquée par les amours successives d’Henry VIII et leurs conséquences politiques – sujet maintes fois traité sur les écrans ou en littérature –, Hilary Mantel réussit à imposer sa vision par la façon dont elle bâtit son récit aussi bien que par son traitement stylistique.
Ce premier volume d’un triptyque (les second et troisième tomes, Le pouvoir et Le miroir, paraîtront respectivement en 2014 et 2015) évacue en une soixantaine de pages l’enfance et les années d’apprentissage de Thomas Cromwell. En fait, le récit débute au moment où celui-ci est devenu l’homme de confiance du cardinal Wosley, alors puissant Lord Chancelier d’Angleterre (sorte de premier ministre du roi). Malheureusement, son protecteur tombera graduellement en disgrâce à cause de son incapacité à obtenir du pape l’annulation du mariage du roi avec Catherine d’Aragon, annulation qui permettrait à ce dernier d’épouser Anne Boleyn. Paradoxalement, la chute du protecteur marquera, pour Cromwell, le début de son rapprochement avec le roi et son ascension dans la gestion des affaires du royaume. Le premier volet de Dans l’ombre des Tudors se termine après le mariage d’Henry VIII avec Anne Boleyn et au moment où celui-ci fait la cour à Jane Seymour.
Le conseiller fascine et irrite à la fois. Il fascine par la brillante reconstitution qu’Hilary Mantel fait de cette époque tant du point de vue de la culture matérielle que sur le plan des coutumes et des usages. Tout sonne juste et sa plume, souvent ironique, est plutôt élégante. Ce qui peut irriter le lecteur toutefois, c’est la manière dont elle tisse sa toile. Bien que chronologique, la trame narrative n’est pas linéaire ; la plupart du temps, l’auteure accole les scènes les unes aux autres sans ou avec un minimum de transitions. Ces ruptures de ton, ces ellipses rendent la lecture souvent cahoteuse. De même, le choix de Mantel d’introduire et de mener ses dialogues en recourant systématiquement au « il » pour désigner tout interlocuteur, déroute encore davantage. Enfin, si l’on ajoute à ces difficultés techniques la pléthore de personnages que l’auteure met en scène (on en compte 98 dans la liste publiée au début du livre et à laquelle il faut constamment se référer), on comprendra que si Le conseiller est le grand livre que l’on dit, sa lecture exige beaucoup de persévérance.