« Il suffirait de presque rien, peut-être dix années de moins, pour que je te dise ‘Je t’aime’. » Cette chanson célèbre de Serge Reggiani (1922-2004) pourrait à elle seule résumer toute une partie de cet homme sensible et timide sous des dehors rustres. Né en Italie sous le nom de Sergio Spagni, il fut acteur aux côtés des plus grands (Simone Signoret, Yves Montand), dans les films de Claude Lelouch, de Julien Duvivier (Marie-Octobre) et de Claude Sautet (Vincent, François, Paul et les autres).
Cette biographie partielle découle surtout des souvenirs de la dernière compagne du chanteur, qui partagea sa vie durant les 30 dernières années. Noëlle Adam fait le portrait de cet homme talentueux, mélancolique, colérique, alcoolique incurable, en dépit de ses nombreuses cures. Son quadruple succès (sur scène, au théâtre, sur disque et au grand écran) et la richesse le laissent insatisfait et amer. Ses nombreuses conquêtes féminines l’ont parfois irrémédiablement blessé (et réciproquement) ; d’ailleurs, on apprend que la chanson « Madame Nostalgie » était un règlement de comptes adressé à l’excentrique chanteuse Barbara, autrefois sa compagne. Mais surtout, Serge Reggiani avait constaté la rupture entre la gauche française d’après-guerre et la génération suivante, qui constituait son nouveau public lors de ses récitals : « Il appréciait de moins en mois ces pseudo-intellectuels dont il connaissait trop les ressorts et les motivations, et qui formaient déjà ce qu’on appellera plus tard la gauche caviar ». Comble de malheur, son fils Stéphane Reggiani se suicide en 1980. Et déjà à partir de 1983, des amis comme Georges Moustaki croyaient en voyant Serge Reggiani que chaque soir à l’Olympia serait son dernier spectacle.
Contre toute attente, ce ne sont pas les déboires innombrables de Serge Reggiani qui m’ont charmé, mais plutôt le parcours de la biographe, Noëlle Adam. Danseuse réputée, elle travailla quatorze ans aux États-Unis et traversa au cours des années 1960 la vie de plusieurs acteurs en vue comme Henry Fonda et Sydney Chaplin ‘ décédé en 2009. La première moitié de son livre évoque le quotidien des danseuses de ballet, la vie mondaine du New York des années 1960, la famille Chaplin dont elle partagera le quotidien durant plusieurs années. Elle a aussi joué un rôle de danseuse aux côtés de Louis de Funès dans la comédie L’Homme orchestre. À la limite, on pourrait ne jamais avoir entendu parler de Serge Reggiani et apprécier quand même ce livre très vivant.