On peut dire du dernier livre de François Hébert, Dans le noir du poème, Les aléas de la transcendance, qu’il « joue » entre l’essai, la critique et la création littéraire, par un amalgame de diverses perspectives sur la littérature et, en cela, le livre se métamorphose constamment. Mais il s’agit avant tout d’un essai. I1 est fondé sur l’idée que la transcendance qui caractérise, reflète l’acte poétique – nous dépassant de très« haut »… -, revient nous interroger dans les zones d’ombre qui nous habitent : nous, le « monde et l’histoire ».
François Hébert, essayiste et poète, cherche à parler de l’univers « vrai » – car subjectif – de la littérature par des réflexions sur l’œuvre de Nelligan, de Louis Dantin, de Saint-Denys Garneau et de bien d’autres. Le leitmotiv de cet ouvrage est donc que notre monde n’a de vérité que « subjective » : les vues ou « visions » de l’écrivain, en ce sens, le représenteraient bien. Tout est affaire d’intériorité, de re-création de l’extériorité… C’est pourquoi le « critique » doit pleinement s’engager dans sa lecture comme l’écrivain dans l’écriture, l’œuvre. C’est ainsi qu’Hébert vagabondera dans ses lectures et nous offrira son propre paysage dans lequel le littéraire et le religieux se côtoient, et cela, dans un style très personnel reliant des réflexions critiques originales et dans une langue, comme on l’a dit, proche de la création littéraire : ce qui peut être, parfois, assez déroutant…
Dans cet ouvrage fourmillant d’idées, en abordant plusieurs facettes et dimensions du phénomène littéraire, l’auteur s’arrête plus spécifiquement sur Émile Nelligan et Louis Dantin. À propos du texte intitulé « L’Hostie » de Dantin, François Hébert ironise « sérieusement » sur l’idée que notre littérature commencerait avec la poésie de Nelligan – cet « agneau mystique » – qu’on l’ait mythifié ou non… ainsi qu’avec l’apport, ou support critique – avant la lettre – du prêtre et poète « Seers-Dantin », qui fut le premier préfacier de l’« œuvre complète » de Nelligan en 1904. Hébert en profite aussi pour écorcher la sociocritique ainsi que la psychanalyse dans leurs prétentions quant à saisir l’objet littéraire… alors que l’auteur nous dira qu’il n’y a (tout simplement !) que plusieurs ou d’infinies lectures du monde, comme l’a suggéré Alberto Manguel.
Et tout ce sens, et même la prétendue « réalité », finiraient-ils par se dissoudre dans le vide ? Toujours est-il qu’avec cet ouvrage, c’est la cacophonie des significations qui nous interpelle, nous frappe par le besoin d’établir une cohésion, une unité du monde dont la « culture » serait tributaire et responsable. En cela, le livre de François Hébert est d’une richesse qui finit par irriter mais d’une belle intelligence, d’une grande culture dans son acception non « pédante ». « La culture, écrit Hébert, n’est pas un savoir, encore moins un code ou une pédanterie. Elle est l’art de la transmission, des passages, de la véritable communication ou communion, au sens où l’on voudra, selon l’entendement de chacun. » C’est signifier que la culture, dans son acception critique, « profane », serait nécessaire à notre perception de l’univers, de ses diverses mythologies qui souvent nous aveuglent, issues de notre étonnant emplacement dans le monde : obscur ou lumineux, qu’importe ! « Le relativisme est athée et ne saurait admettre le bien-fondé d’un mystère ou d’un mythe. La culture est toujours problématique, elle est même l’art de cultiver les problèmes, et elle abolit par définition les mystères, qui sont des solutions présentées sous formes d’énigmes. »