« Il y a longtemps que je tourne ma langue dans ma bouche pour être prêt au jour de votre arrivée, et depuis quelques mois déjà me récite fidèlement les chapitres de ma vie, tel un vieil éléphant qui se raconte ses existences antérieures. Je me suis donc remémoré, non sans efforts, toutes les années que je n’ai pas vues se dissoudre en mois, en jours, en heures, en secondes, à l’époque où je n’entendais pas encore grincer comme aujourd’hui la roue de fer du temps qui passe, ce sinistre cliquetis qui me tient éveillé presque chaque nuit. » Voilà ce que dit Pierre Perrignon, en guise de préliminaire, à son fils Augustin lorsqu’il le rencontre pour la première fois dans le sud de la Corse.
C’est à l’émouvante rencontre d’un vieillard avec son fils dont il ne connaissait que le prénom et qu’un demi-siècle a séparés que nous sommes ici conviés. Deux êtres, deux époques, deux parcours différents mais qui se ressemblent pourtant, nous sont racontés dans ce roman de facture classique. La puissance évocatrice, cinématographique, de l’écriture de Daniel Rondeau est saisissante ! Son récit, truffé de passages palpitants, nous transporte de la France rurale du début du XXe siècle aux horreurs de la guerre de 14-18, des errances de la Seconde Guerre mondiale à l’atrocité des camps de concentration. L’auteur y parle beaucoup de politique, du militantisme, de la fausseté et de l’hypocrisie mais aussi de l’intensité de l’amour, de la beauté universelle de la poésie et de la musique.
Un énorme pavé de près de 1000 pages, une écriture dense et magnifique et, enfin, l’histoire prenante de retrouvailles : deux vies que l’on découvre en parallèle, avec un intérêt qui va croissant au fil des pages. Pierre et Augustin sont des êtres simples et sincères qui foncent droit devant, faisant face avec courage aux nombreux écueils qu’ils trouvent sur leur route, deux routes fort différentes, deux époques agitées, deux parcours qui font l’Histoire. Dans la marche du temps, c’est le récit d’une succession de séparations, de pertes, comme l’est toute vie. C’est la mémoire qui parle.