Le titre pose d’entrée de jeu un paradoxe : comment l’Europe « civilisée » a-t-elle pu produire les désastres qu’ont été le nazisme et le goulag soviétique ? Edgar Morin répond d’abord en faisant l’éloge de cette culture qu’il critiquera ensuite. Depuis la Renaissance qui se voulait un retour aux idéaux de la Grèce et de la Rome antiques, que de débordements ont été causés au nom de la civilisation ! Pourtant, « au cours de cette mondialisation de la barbarie européenne, il y a eu des métissages de cultures, des échanges, des contacts créateurs ».
La démonstration d’Edgar Morin fait surtout appel à l’histoire et à la littérature : « […] le fil historique que je suis n’est pas pour moi un moyen d’exposition chronologique du phénomène de la barbarie, mais un moyen pour sa compréhension ». C’est précisément la lecture et l’interprétation faites par Morin qui rendent ce livre si éclairant et vivant. Ma seule critique concerne les sources et les notes ici inexistantes. Le travail de l’éditeur aurait été de fournir les références des nombreux ouvrages cités, de Lucien Lévy-Bruhl à Montesquieu et Voltaire, en passant par François Furet, Pierre Simon Laplace, mais aussi Lénine. J’aurais également apprécié un peu plus de nuances à propos des « populations indiennes » d’Amérique du Nord, qui seraient « aujourd’hui parquées, ghettoïsées dans des réserves ».
La dernière section se concentre sur le lien entre barbarie et nation. L’histoire récente démontre que les pires dérives deviennent possibles à partir du moment où l’on considère l’autre comme étant inférieur, dangereux ou nuisible : en d’autres mots, comme étant un barbare. Enfin, Morin conclut en prônant une double prise de conscience : un travail de mémoire nécessaire et une attitude planétaire. L’universalisme peut sembler utopique, mais il demeure la seule issue pour éviter la barbarie.
Ouvrage instructif et accessible d’Edgar Morin, Culture et barbarie européennes me rappelle ses livres Terre-patrie (1993) et Les fratricides (1996), qui me semblent, sinon des préalables, du moins des compléments. Les étudiants de niveau collégial entre autres pourront apprécier cet ouvrage qui saura, malgré sa brièveté, provoquer une réflexion fertile.