« Il a dû m’arriver de limer plus d’un fait pour qu’il entre sans encombre dans ma phrase », d’avouer Thucydide à Socrate dans un de leurs nombreux entretiens au sommet des mondes, où bien sûr les beaux esprits ne se font guère prier pour émettre quelque opinion et argumenter de leurs théories. Au total, nous serons conviés à plus d’une dizaine d’échanges où le vieux sage accoucheur des consciences, fidèle à lui-même, cherchera les filets de lumière dans les obscurités de ses interlocuteurs. On y parlera tantôt d’éducation, tantôt d’Histoire, des arts et des sciences aussi. Se pointent également au rendez-vous, galamment espiègles quelquefois, l’amour, le bonheur et même la « pornosophie »
« Il a dû m’arriver de limer plus d’un fait pour qu’il entre sans encombre dans ma phrase », d’avouer Thucydide à Socrate dans un de leurs nombreux entretiens au sommet des mondes, où bien sûr les beaux esprits ne se font guère prier pour émettre quelque opinion et argumenter de leurs théories. Au total, nous serons conviés à plus d’une dizaine d’échanges où le vieux sage accoucheur des consciences, fidèle à lui-même, cherchera les filets de lumière dans les obscurités de ses interlocuteurs. On y parlera tantôt d’éducation, tantôt d’Histoire, des arts et des sciences aussi. Se pointent également au rendez-vous, galamment espiègles quelquefois, l’amour, le bonheur et même la « pornosophie »: « De ce que nous promet la femme » (chapitre X), quoi… En un mot, doux.
Parmi les convives à la table parlante et marchante, plusieurs philosophes : Montaigne, Montesquieu, Rousseau ou Schopenhauer. Et Platon pour sûr. Mais la philosophie n’a pas le monopole de la pensée soignée (« Les philosophes m’ont toujours paru un peu constipés de la cervelle »). Qu’à cela ne tienne ! Socrate trouvera le « courage » d’affronter son épouse Xanthippe puis Aristophane, moqueur de première qui l’avait fort éreinté jadis dans ses Nuées. Rabelais, Ninon de Lenclos, Stendhal (interpellé de but en blanc : « Pourquoi aime-t-on ? ») et encore quelques autres ‘ dont le secrétaire de Goethe (si ! si ! Eckermann eut droit comme son maître au partage de l’ambroisie de ces lieux divins) ‘ se joignent ponctuellement à ces petites assemblées où trois ou quatre langues bien déliées se disputent la vérité d’un enjeu.
Bien sûr, on ne reconnaît pas toujours l’œuvre ni même la personnalité dans le mot du messager. Marx y est singulièrement présomptueux, et Nobel semble un peu égaré dans ces fumées issues moins de la déflagration que de la spéculation. C’était couru, j’imagine. L’auteur au reste ne se prétend pas spécialiste (« celui qui sait tout de presque rien ») ni de grande érudition (qu’il n’a pourtant pas mauvaise, loin s’en faut). D’où notamment quelques poncifs de bon teint ici ou là, quoique prestement dissimulés dessous les jupons de formules plutôt jolies et, ma foi, de temps à autre fort bien ciselées. Qui en l’occurrence ne désire et ne craint à la fois de rencontrer « celle qui se refuse à tout, sauf au meilleur » ? Et quelle parade opposer à la gifle que Michelet assène à notre société : « On n’en est plus aux temps bénis où l’on pouvait faire saisir des sacs d’or aux frontières ; l’argent aujourd’hui ne se contente plus de n’avoir point d’odeur, il n’a plus de couleur, plus d’apparence, plus de matérialité ; il fuit par la voie des ondes, passe à la seconde de Genève à Hong Kong, il est partout, il est nulle part. Il est comme Dieu. Il est Dieu. »
On comprendra qu’il ne s’agit pas dans ces joutes oratoires d’apporter de réponses fermes, ni même d’ailleurs de camper solidement les questions. Marcel Lévy a accaparé quelques esprits bien taillés comme pour mieux aiguillonner le sien propre, voilà tout. Faut-il s’en plaindre et le dénoncer ? À quoi bon si, en outre, c’est bien écrit, incidemment dans une langue quelque peu surannée qui a contrario rappelle quasi brutalement le sabir franglais et syncopé de notre époque ? De même, à quoi bon chipoter si l’on sait par surcroît que M. le dilettante n’aura jamais tenu son livre en main ? C’est presque centenaire, en effet, que l’homme s’en est allé rejoindre Socrate en personne, laissant ainsi le soin à son éditeur de mettre un peu d’ordre dans une forme de testament intellectuel qui, à notre étonnement heureux, se termine sur des propos (que de mon cru je qualifierais de « ririens » : le rire du rien inhérent au vide sourd et muet de l’être) que n’aurait pas désavoué Nietzsche lui-même. Et si c’était vrai que « tout, depuis le début, n’aura été qu’un grand songe » ? Après tout, on doit bien savoir de quoi on parle à 94 ans.