Le 11 janvier 1929, le Courrier de Saint-Hyacinthe publie une critique de L’offrande aux vierges folles, le premier recueil d’Alfred DesRochers. Dès le lendemain, DesRochers écrit à Harry Bernard, rédacteur en chef du journal, pour le prier de lui faire parvenir des exemplaires supplémentaires de son article qu’il commente ensuite sur un ton plutôt sympathique. Ce sera le début d’une correspondance riche de plus de 150 lettres qui s’étalera sur vingt ans. Les deux hommes s’échangent des poèmes et des réflexions sur l’art d’écrire, conférant ainsi à leur correspondance des allures d’ateliers d’écriture à distance. À Harry Bernard qui s’adonne au roman, qui écrit des vers, qui participe à des concours, DesRochers envoie ses observations, prodigue ses encouragements, suggère des modifications aux passages qui lui semblent boiteux. L’enthousiasme d’Alfred DesRochers est palpable ; on sent chez lui une grande ouverture d’esprit, un bon sens de l’humour, des connaissances approfondies en versification, un goût pour la discussion et la polémique. Son interlocuteur, stimulant, partage ses intérêts à un moment de l’histoire où écrire est une activité non seulement marginale mais peu valorisée dans la province de Québec. Plusieurs des acteurs de la scène littéraire de l’époque sont d’ailleurs évoqués dans cette Conversation poétique : Jean-Charles Harvey, Jovette Bernier, Louis Dantin, Claude-Henri Grignon, Mgr Camille Roy (rebaptisé Camomille sous la plume d’Harry Bernard dont il a critiqué sévèrement le roman), Robert Choquette, Jeanne Grisé, Albert Pelletier. Tant de noms qui nous ramènent aux débuts de la modernité dans le champ de la littérature canadienne-française.
La qualité de l’ouvrage doit beaucoup au travail d’édition particulièrement soigné de Micheline Tremblay et Guy Gaudreau qui ont établi et annoté les textes. L’introduction, la chronologie et les notes qui accompagnent les lettres permettent de les situer dans leur contexte et d’en apprécier davantage le contenu. Il faut saluer l’initiative de ces chercheurs qui contribuent à enrichir notre patrimoine littéraire.