Près d’une centaine de livres ont été consacrés à François Mitterrand, en l’espace d’une vingtaine d’années. Selon l’éditeur parisien Olivier Orban (cité par Anne Rasmussen, dans Julliard), ce sont les ouvrages qui révèlent l’homme caché derrière le personnage public qui se vendraient le mieux, comme les rapports médicaux sur l’état de santé précaire de l’ancien président, ou encore les confidences sur ses nombreuses liaisons amoureuses extraconjugales. Ainsi, le livre de Pierre Tourlier, intitulé Conduite à gauche, Mémoires du chauffeur de François Mitterrand, s’il révèle tout un pan de la vie cachée du chef du Parti socialiste, le fait néanmoins apparaître sous un côté plus humain, plus fragile et assez influençable. Mais nous sommes ici à l’opposé du Verbatim de Jacques Attali (Fayard, 1993), véritable journal de la vie politique française durant les années Mitterrand. D’autres ouvrages apparaissent comme des curiosités, par exemple celui du sculpteur Daniel Druet, qui raconte en un bref récit et en photos assez insolites les multiples séances de pose du président français pour un monumental buste d’argile (François Mitterrand, Des temps de pose à l’Élysée, Paris, Marval, 1997).
Parmi cette abondante production, le livre publié sous la direction de l’historien Jacques Julliard mérite une attention soutenue. Les auteurs se penchent sur la déification de l’homme public et sur la propension de l’homme d’État à vouloir ritualiser, orchestrer, immortaliser ses actions, ses inaugurations de monuments, sa postérité, et même sa propre mort. Plusieurs auteurs de ce recueil s’inspirent des nombreux rituels déployés autrefois lors de la disparition des rois de France pour tenter d’expliquer comment ces traditions monarchiques se perpétuent de nos jours. On comprend que les rois de naguère (et certains hommes politiques d’aujourd’hui) disposent en quelque sorte de deux corps, l’un physique, l’autre céleste, dans leur représentation publique. En font foi la médiatisation des doubles funérailles des présidents Faure, de Gaulle et Mitterrand.
Les derniers chapitres proposent d’autres études de cas d’hommes politiques étrangers comme Lénine (dont le corps fut longtemps l’objet d’une dévotion), Franco, Kennedy, etc. Les auteurs ont su cerner avec beaucoup de rigueur et de clarté un sujet très vaste (la vie et la mort des présidents) pour se concentrer sur les formes de culte profane voué à la mémoire de quelques grands chefs d’État. Le résultat, à la fois instructif et original, permet de mieux comprendre la médiatisation de ce genre d’événements et certains mécanismes de la communication politique.