Écrire parce qu’elle n’aime rien faire d’autre, parce qu’une force intérieure l’habite, parce que les personnages affluent et lui demandent de les laisser vivre, parce qu’écrire, c’est être.
Antonine Maillet écrit depuis toujours et écrira aussi longtemps que sa vie durera.
Ce Clin d’œil au Temps qui passe est un hymne à l’écriture : « Ce Temps, c’est le mien, c’est moi. Ma vie. Une valse à trois temps : l’aube, le plein jour, la brunante ». Les trois phases de sa vie : la pulsion d’écrire ou de s’imaginer écrire, écrire ce qu’elle a imaginé, dresser et écrire le bilan.
Dans Fais confiance à la mer, elle te portera (Leméac, 2010), un très beau et touchant essai, elle donne les trois mots clés de son « arsenal » : liberté, imagination et inspiration ; elle y écrit d’ailleurs : « […] mon premier personnage, que je le veuille ou non, c’est moi ». Dans Clin d’œil, ce moi s’incarne sans passer par l’intermédiaire d’un personnage. Le style demeure, la fantaisie aussi, le charme également. Les deux livres ont beaucoup en commun, la vie et l’œuvre de Maillet étant indissociables. Ainsi certaines anecdotes sont présentes dans les deux ouvrages et les deux évoquent son cheminement de l’enfance à la vieillesse. Si le premier se construit autour des œuvres, dans le second, qui se rapproche du récit autobiographique, les œuvres sont rarement nommées, sauf La Sagouine et Pélagie-la-Charrette, auxquelles l’auteure consacre plusieurs pages, les deux étant ses textes phares.
Mais Antonine Maillet ne peut se limiter à écrire une simple autobiographie. L’écriture l’emporte sur les faits, et le temps devient le Temps, « un nouveau personnage qui vient de loin et ne ressemble à personne ». Ce Temps qui ponctue sa vie, ce Temps qui court jusqu’à l’époque lointaine où elle rencontre Rabelais à qui elle voue une admiration qui nourrira ses propres écrits.
Elle glisse sur les chemins qu’elle a parcourus, accentuant certains faits, en laissant d’autres dans l’ombre. De sa vie personnelle, on apprendra peu de choses ; de sa vie avec son œuvre, beaucoup, même si elle ne l’aborde qu’à travers l’exigence de l’écriture. De son enfance, on saura qu’elle racontait à d’autres des romans qu’elle n’avait pas – encore – écrits ; de sa vie de religieuse, on ne saura rien ; de ses relations personnelles, rien, si ce n’est une évocation empreinte de tendresse de Mercedes Palomino, qu’elle appelle « sa compagne » ; de sa carrière, peu. Elle ne se confie qu’à travers sa démarche d’écrivaine, qui occupe la place centrale de ce livre, à l’exception de la dernière section, « La brunante », la plus touchante, où elle parle en toute simplicité de son « vieil âge ».
Demeure le plaisir toujours renouvelé de la lire, de la laisser broder ce qu’elle veut bien nous offrir, sans chercher à souhaiter davantage. Sa langue porte le chant de son Acadie, source première de son inspiration, et elle sait la raconter, que ce soit à travers le « moi » devenu personnage ou par l’intermédiaire de ceux qui sont nés du croisement de sa vie et de son imaginaire.