En annexe à l’imposante biographie de Clarice Lispector, l’entretien entre l’auteur Benjamin Moser et l’éditrice Antoinette Fouque se termine sur ces mots : « Je pense que ce portrait l’aurait satisfaite […]. On peut dire que vous l’aimez ». C’est ce que le lecteur ressent intensément, en parcourant les quelque quatre cents pages du livre : l’estime qu’éprouve Moser pour la grande écrivaine brésilienne.
Mi-témoignage, mi-roman, la biographie de cette femme exceptionnelle, dont l’inclassable talent a été reconnu internationalement, est fascinante. Nouvelliste, journaliste et romancière, Clarice Lispector naît en 1920 dans un shtetl d’Ukraine. En 1922, ses parents émigrent au Brésil, à Maceió, puis à Recife, dans le Nordeste, la région la plus pauvre du pays, pour aller vivre finalement à Rio de Janeiro, où l’écrivaine meurt en 1977.
Lispector a beaucoup voyagé en compagnie de son mari diplomate et habité dans plusieurs pays d’Europe, puis à Washington. Elle retourne au Brésil en 1959, avec ses deux garçons, après avoir divorcé pour mieux se consacrer à l’écriture. Si enfant elle parlait yiddish à la maison et depuis est devenue polyglotte, le portugais demeure la langue de son cœur. Elle n’a jamais écrit en une autre langue et ne se reconnaît que dans le folklore brésilien. « J’ai passé mon enfance à Recife, au contact de la vie du Brésil dans ce qu’elle a de plus authentique. Mes croyances se sont formées à Pernambouc, la cuisine que j’aime est la cuisine de Pernambouc ».
Très grande, blonde, les pommettes saillantes et avec des yeux verts en amande, Clarice Lispector était une des plus belles femmes du Brésil, dont le magnifique visage orne aujourd’hui des timbres-poste. De Chirico a peint son portrait ; hommes et femmes tombaient amoureux d’elle. L’écrivaine s’en moquait, car elle souffrait trop. « Tout me touche, je vois trop, j’entends trop, tout exige trop de moi. »
Inspirée par la mystique juive, faisant face à la difficulté de traduire ses sentiments par le langage, elle manipule les mots et fait surgir une langue réinventée. Son œuvre est réputée difficile et se situe à l’opposé d’auteurs brésiliens plus connus, tels Jorge Amado ou encore Paulo Coelho. Clarice Lispector est plutôt comparée à Kafka, Rilke, Rimbaud ou alors à Fernando Pessoa, James Joyce et Virginia Woolf.
La mélancolique auteure, abreuvée de spiritualité, répétait : « J’écris comme si cela devait permettre de sauver la vie de quelqu’un. Probablement la mienne ». Ou peut-être la nôtre.