Pour plusieurs générations d’étudiants, Gilles Marsolais aura été le grand professeur de cinéma de l’Université de Montréal et par ailleurs l’auteur d’un ouvrage devenu classique : L’aventure du cinéma direct (Seghers, réédité aux 400 coups en 1997). Son nouveau livre regroupe plusieurs articles et critiques parus durant presque un demi-siècle. Le titre de ce recueil d’essais fait allusion au fait que dans le domaine du cinéma, ce passage de l’artisanat à l’industrie s’est réalisé au Québec beaucoup plus tardivement que dans bien d’autres pays.
D’entrée de jeu, on appréciera l’excellent chapitre, inédit en français, intitulé « Quand l’histoire du cinéma rejoint l’histoire », dans lequel l’auteur cerne habilement l’instabilité de l’identité canadienne, autant dans ses films documentaires que dans sa réalité quotidienne : « Il faut comprendre que, à travers l’expérience québécoise, c’est l’identité même du Canada, mal définie et terriblement fragile, vulnérable, qui est remise en cause et qui bouscule l’inconscient collectif canadien ». Ce chapitre substantiel est le plus approfondi de l’ouvrage. On trouve ensuite plusieurs textes plus brefs, dont un portrait de Michel Brault, caméraman, réalisateur et documentariste, suivi d’un entretien avec lui. D’ailleurs, l’ouvrage contient des entretiens intéressants avec Denys Arcand, Francis Mankiewicz et quelques jeunes réalisateurs québécois.
Gilles Marsolais traite du cinéma québécois en connaissance de cause, et avec une perspective très large, comme le font par ailleurs les historiens du cinéma québécois Yves Lever et Pierre Véronneau. Parmi de nombreuses critiques de films réunies dans la deuxième partie, on apprécie particulièrement les études de Gilles Marsolais sur À tout prendre de Claude Jutra, qui sort en 1963, à une époque bénie où l’on pouvait voir presque simultanément dans les salles de Montréal les nouveaux films des plus grands réalisateurs de tous les temps : Buñuel, Kobayashi, Antonioni, Rohmer, Visconti. Mais Gilles Marsolais n’est pas un inconditionnel : il reconnaîtra que Nelligan (1991) et Les muses orphelines (2000) de Robert Favreau sont des films ratés.
Sans atteindre l’ampleur de son Aventure du cinéma direct, ce Cinéma québécois, De l’artisanat à l’industrie propose un survol instructif de notre cinématographie québécoise.