Quel fut à mon avis le meilleur essai québécois de 2006 ? Assurément les Chroniques littéraires de Jacques Ferron (1921-1985). Ce recueil imposant réunit 160 articles, chroniques, critiques de livres ou de spectacles, pour la plupart restés inédits depuis leur parution initiale, à l’exception des quelques textes réunis dans les deux tomes d’Escarmouches (1975). Les sujets sont variés : la vie littéraire québécoise, façonnée par les sorties hebdomadaires, mais aussi la politique et l’histoire du Canada. Lecteur éclectique, Ferron fait même référence à la bande dessinée de Dan Cooper ! Sans détenir de diplôme en études littéraires, l’auteur emprunte parfois (mais sans en abuser) les grilles d’analyse de Roland Barthes ou d’Olivier Reboul, et commentera lors de leur parution des ouvrages de sociologues québécois comme Fernand Dumont et Gérard Fortin.
Ferron sait être un critique féroce, mais il avoue par ailleurs aimer les romans de Michel Tremblay (La grosse femme d’à côté est enceinte), André Major (La folle d’Elvis), Gilles Archambault (Le voyageur distrait), Jacques Godbout (Les têtes à Papineau) et plusieurs ouvrages de Victor-Lévy Beaulieu (dont l’unique Manuel de la petite littérature du Québec). Cependant, Ferron n’est pas qu’un simple commentateur de livres ; il donne ici le meilleur de lui-même. Je suis renversé par la force et l’ampleur de certains textes : érudition, intelligence, humour et du style à revendre ! Plusieurs observations restent toujours appropriées. Sur la « montréalisation » avant la lettre, Ferron écrit : « Quand on écrit en joual, on a éliminé celui de Lowell, celui de Moncton, celui de Caraquet au profit d’un seul, celui de Montréal ». Aussi, le critique aborde parfois la littérature en présentant des collections (« Cher Nénuphar »), des éditeurs (Les leméacois) ou des phénomènes propres à la sociologie du livre, comme la dynamique des presses universitaires.
Le travail d’édition de Luc Gauvreau me semble indispensable et remarquable, voire exemplaire. Ses notes abondantes recèlent des renseignements pertinents et complètent parfaitement les innombrables références faites par Ferron à une multitude d’écrivains et de personnages publics. Les meilleurs livres sont souvent des invitations à la lecture d’autres ouvrages. Relire ces Chroniques littéraires permet de parcourir deux décennies de littérature québécoise et d’en mesurer toute la force.