À l’occasion critique de films pour le journal français Aujourd’hui et aussi pour la Nouvelle Revue française, le poète et romancier René Daumal (1907-1944) a assisté aux premières années du cinéma parlant. Relativement inconnu en son temps, mais redécouvert depuis quelques années (ses poèmes et sa correspondance ont été récemment réédités, notamment par Gallimard), Daumal avait une plume alerte et aimait le cinéma.
La plupart des textes de René Daumal reproduits dans Chroniques cinématographiques datent de 1934 et sont restés inédits depuis. Parmi les 25 films commentés se trouvent quelques classiques : Madame Bovary, réalisé par Jean Renoir, Liliom de Fritz Lang, L’Homme invisible de James Whale, tous sortis en 1934. La chronique sur le tournage du Dernier Milliardaire de René Clair m’apparaît particulièrement savoureuse. Un article plus substantiel traite de l’usage des marionnettes au cinéma.
Au-delà de l’intérêt historique de retrouver ces articles brefs, on peut mesurer l’air du temps, les critères des critiques d’alors et découvrir des films oubliés, comme Rapt, film français de Dimitri Kirsanoff, ou encore Fin de saison (Brennendes Geheimnis), obscur film allemand pré-hitlérien, de 1933, adaptation d’une nouvelle de Stefan Zweig, dont les historiens du cinéma allemand n’ont curieusement pas parlé. Malheureusement, le critique a aussi pris la peine de consacrer l’une de ses rares chroniques à un film plus conventionnel qu’il n’a pas apprécié : Silver Cord, de John Cromwell. D’autres pages montrent son indignation devant le projet confisqué de Sergeï Eisenstein au Mexique (qui allait devenir Que Viva Mexico !, 1932). Il s’enthousiasme pourtant pour un film de gangsters de R. Del Ruth avec James Cagney, intitulé Lady Killer, et que je ne connaissais pas : « […] un exemple de cinéma parfait ».
La préface de Jean Senegas et l’annexe de Petrus Batselier offrent quelques indications sur le parcours personnel de René Daumal. Les notes en bas de pages (non-signées), plus instructives quant au contexte des œuvres, comportent les génériques des films, ou renvoient parfois, à titre de comparaison, aux propos de Philippe Soupault, lui aussi critique. Ce livre à la présentation soignée témoigne de la manière de travailler des critiques de cinéma de l’époque, dont l’analyse demeurait descriptive et parfois politique, c’est-à-dire contre les conventions, la morale, les poncifs.