La puissance d’évocation et le dynamisme des images de Moses Isegawa forcent le respect et l’admiration. Les Chroniques Abyssiniennes ne couvrent pas uniquement un pan de l’histoire africaine au siècle dernier – en l’occurrence l’histoire de l’Ouganda des colons blancs à Idi Amin Dada jusqu’aux revirements récents effectués sous la houlette de la Banque Mondiale et du FMI – mais offrent à voir et à comprendre un pays et un continent sauvagement méconnus. Et ses habitants.
Sur le ton de l’épopée autobiographique contée au gré des événements qui ont jalonné le territoire, l’auteur nous fait pénétrer l’intimité de la famille africaine et éclaire d’un regard nouveau les comportements, les réactions, les attitudes si mal compris. Sous sa plume, les Africain(e)s, et donc les Ougandais(es), vibrent, font, agissent pour contrer un destin, pour bâtir leur destinée. Chacun des personnages, si hauts en couleur, si vrais, s’animent sous les yeux d’un lecteur ébahi et dérangé par le lot d’ignorances, de dédain et de stéréotypes charriés sur le dos des « Noirs ». Ainsi, qui n’a pas entendu la plaisanterie naïve et raciste sur les « Noirs [qui] sont comme des singes ». Par la voix d’un prêtre blanc venu apporter la bonne nouvelle à ce peuple « inculte », Moses Isegawa reprend à son tour cette étrange mystification et nous la fait vivre de l’intérieur. « Ce prêtre blanc ignorait un chapitre de l’anthropologie culturelle, le singe est pour nous un symbole de ruse, de curiosité et de ce genre d’intelligence dont il était fier : il avait des idées personnelles ». Les Blancs n’avaient gagné que de la monnaie de singe. Le génie d’Isegawa, justement, réside bel et bien là : dresser un portrait des hommes et des femmes qui font quotidiennement l’Afrique sans sombrer dans les discours revendicatifs et autres paraboles dénonciatrices.
Ce livre dit les mots simples de l’altérité et renvoie chacun à ses indifférences.