Initialement parue en 1994 chez VLB, Chronique de la dérive douce ravira autant les nouveaux lecteurs de Dany Laferrière que ceux qui attendent avec intérêt la parution de chaque nouvelle publication. Il faut reconnaître à Dany Laferrière ce pouvoir d’enchanteur qui, dès les premières pages, opère et sait nous charmer. Pouvoir issu d’une terre maintes fois mise à mal et qui toujours sait se redresser pour saluer la vie ? Peut-être. Mais n’allons pas chercher des explications là où elles ne sont pas. Le matériau premier de l’écrivain, ce sont les mots, et Dany Laferrière sait en extraire tout à la fois la force d’évocation – en évitant le piège de l’enflure, des images préfabriquées qui s’effondrent sitôt qu’elles s’affichent – et celle de nous émouvoir. Simplicité, voire naïveté, ingénuité. Voilà ce qui ressort de cette Chronique de la dérive douce, titre on ne peut mieux choisi pour rendre compte du propos qui nous est ici livré sous forme de fragments, de dialogues qui en épousent l’esprit et non la forme, d’impressions fugaces qu’on cherche à épingler pour en retarder l’évanouissement, comme ces papillons dont on veut immortaliser la beauté. Car comment mieux traduire l’étonnement, le choc, le dépaysement, l’incompréhension, le ravissement, voire le bonheur de qui découvre une ville, une culture, et les possibilités jusque-là insoupçonnées d’un avenir qui peut être autre que celui qu’on avait jusqu’alors cru irrémédiable, irremplaçable, qu’en empruntant à la chronique ce mouvement à la fois ample et libre qui épouse ici parfaitement l’état de douce dérive dans lequel baigne le narrateur qu’on peut difficilement dissocier de l’auteur de ces mêmes lignes tant le propos, pourrait-on dire, lui colle à la peau. Et, d’entrée de jeu, ce dernier ne cherche nullement à s’en dissocier, comme il aurait été difficile à Henry Miller de désavouer ses narrateurs : « Je quitte une dictature tropicale en folie encore vaguement puceau quand j’arrive à Montréal en plein été 76 ». Et ce qui suit nous livrera, au fil des jours et des mois, des saisons et des rencontres, la découverte d’un pays et de ses habitants que nous croyions jusque-là connaître, mais que Dany Laferrière sait nous révéler, tantôt avec étonnement, tantôt avec humour, à la fois semblables et autres par les yeux neufs de qui foule pour la première fois une terre inconnue. Et il n’y a rien de plus étrange que de se faire tendre un miroir et d’y reconnaître un visage à la fois familier et nouveau. Ce qui explique sans doute ce goût narcissique d’y revenir sans cesse, avec ou sans chapeau.
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