Né à la fin du XIXe siècle, Milos Tsernianski est surtout connu pour être l’auteur de Migrations, chef-d’œuvre de la littérature serbequi raconte l’histoire dela diaspora slave au XVIIIe siècle. Intellectuel de haut niveau et de vaste culture, Tsernianski fut d’abord poète et dramaturge, puis journaliste, professeur et attaché à l’ambassade du royaume de Yougoslavie à Rome. Ce sont ses années d’ambassade, 1939-1940, qui sont évoquées dans Chez les hyperboréens.
Livre hybride qui tient à la fois des mémoires, du journal intime et du livre de souvenirs, Chez les hyperboréens se présente aussi comme une réflexion sur la mort et sur l’appartenance, sur l’histoire et sur l’art. Le livre s’ouvre sur un diagnostic : Tsernianski serait atteint d’un mal mortel. Dès lors, les pensées de l’écrivain le ramèneront vers les contrées nordiques qu’il a visitées quelques années auparavant et qui sont restées pour lui les lieux mêmes du bonheur.
« L’homme a besoin de savoir qu’il ne pourra plus retourner dans un lieu, pour se rendre compte combien il y a été heureux. » Cet engouement, il tente de le faire partager à la petite société composée d’officiers d’armée, de jolies femmes esseulées et d’intellectuels qu’il fréquente à Rome. Au fil des jours, il raconte ses soirées romaines passées à évoquer la mémoire du Tasse ou de Michel-Ange, à débattre des mérites comparés de la poésie de Virgile et de Leopardi, et surtout, à commenter les événements qui annoncent le début prochain de la Seconde Guerre mondiale.
C’est donc à l’ombre d’une double fin, celle d’un homme et celle d’une époque, que se déroule cette promenade dans les « ruines du souvenir ». On pourra trouver certains procédés répétitifs, en particulier quand il rapporte dans le détail ses conversations du jour (Il dit , elle dit ). On pourra également être agacé par certains échanges qui ne sont qu’assauts d’érudition. On pourra même trouver excessive cette passion pour l’art au moment où le monde est sur le point de basculer dans l’une des pires tragédies qu’il ait connues. Quoi qu’il en soit, il nous reste de ce long tête à tête avec Tsernianski, le bonheur d’avoir rencontré un homme d’une érudition éblouissante et d’un profond humanisme, et le plaisir de découvrir en sa compagnie un monde à la beauté un peu surannée.