La station-service où travaille Andréa est un carrefour des nations. Immigrants et voyageurs y font un arrêt, s’y croisent, comme en un campement nomade, avant que de repartir pour d’autres possibles, vers d’autres horizons, à cheval sur l’autoroute non loin de là. Le début du récit est fracassant, kaléidoscopique et polyphonique : alternances subreptices des points de vue des personnages en présence et entremêlement de leurs voix, sous forme de discours indirect libre. Le lecteur est d’abord surpris par ce déferlement des perspectives, que souligne le thème de la photographie, présent d’un bout à l’autre de l’ouvrage : « Virtuel téléobjectif, 80 mm ; idéal pour le portrait. Cadrages multiples. Plusieurs angles plutôt qu’un. » Il faut même parfois, en cours de lecture, revenir en arrière de quelques pages afin d’ordonner ce foisonnement d’informations : « Erreur de lecture. Ce doit être un problème de focalisation ; il y a trop longtemps que je n’ai sorti ma caméra. » Puis peu à peu les choses se calment dans le récit, le monde s’endort, c’est la nuit, la pluie tombe, et le dialogue s’installe entre Andréa et Réjean. Ils auront d’abord en commun le silence, l’embarras, et un désir réciproque, toujours plus fort ; ils auront devant eux une nuit blanche à se tenir compagnie, de plus en plus complices, et des projets de voyage à deux, proposés à mots voilés. Ils se racontent des histoires, des fictions, des confidences. Ils boivent à leurs différences, à leurs devenirs, aux possibilités qui semblent s’offrir à eux. Ils sont peut-être amoureux lorsque le matin arrive, et avec lui d’autres voyageurs, s’arrêtant quelques instants à la station-service avant de reprendre l’autoroute.
Chemin de traverse est un temps d’arrêt. On ne parcourt pas à la dérobée ce récit bref et succinct. Il ne se « consomme » pas et c’est heureux. Dense, elliptique, il appelle une lecture lente sinon double. On s’y attarde quelques instants, avant de repartir…