Clara Purdy s’étiole depuis le décès de sa mère dont elle prenait soin. Entre son travail ennuyeux dans une compagnie d’assurances, la maison vide dont elle a hérité et les messes célébrées par le prêtre anglican Paul Tippett, rien ne se passe pour cette femme divorcée et sans enfant qui amorce la quarantaine en solitaire. Un jour, pourtant, sa vie monotone éclate à l’intersection d’une rue de Saskatoon alors qu’elle entre en collision avec une Dart brinquebalante dans laquelle voyage la famille Gage vers le nord de l’Ontario où le père, Clayton, a encore une fois trouvé un nouveau travail. Malgré les vociférations de celui-ci, ni lui, ni ses trois jeunes enfants, ni sa vieille mère n’ont été heurtés. Seule la mère, Lorraine, doit être transportée à l’hôpital pour des blessures superficielles. Des examens plus poussés révèlent toutefois une leucémie à un stade avancé. Se sentant coupable de l’accident ‘ bien que Clayton ait brûlé le feu rouge ‘, Clara décide d’accueillir la famille chez elle pendant les traitements de Lorraine qui recevra une greffe de moelle osseuse de son frère Darwin accouru d’on ne sait où. Incapable de faire face à la situation, l’irresponsable Clayton prend la poudre d’escampette et Clara se retrouve flanquée d’une fillette de huit ans, d’un garçon de cinq ans et d’un bébé de quelques mois, sans compter la vieille mère de Clayton, éternelle insatisfaite et cleptomane. Pourtant, tandis que Lorraine traverse des mois d’enfer, Clara découvre une nouvelle raison de vivre dans le chaos qu’est devenue sa vie et dans sa relation amoureuse avec Paul. Mais un lundi, Lorraine, en rémission, obtient son congé de l’hôpital
Deuxième roman de la Canadienne Marina Endicott, Charité bien ordonnée propose une nouvelle variation sur le thème de la vertu. Mais là où un Yves Beauchemin ironisait sur les manifestations de bonté un peu grandiloquentes de son personnage Guillaume Tranchemontagne dans Les émois d’un marchand de café, la lauréate du Commonwealth Writers’ Prize régional (Canada et Caraïbes) et finaliste du Scotiabank Giller Prize aborde la question sous un tout autre angle. Le lecteur est d’ailleurs un peu désarçonné devant l’étrange écart qui existe entre l'(in)vraisemblance de l’événement déclencheur ‘ installer toute une famille de purs étrangers récalcitrants et ingrats chez soi pendant de longs mois ‘ et le réalisme des petits événements quotidiens subséquents qu’on suit comme une chronique des mille et un faits anodins de la vie d’une mère ordinaire. Avec le chapelet de détails qui en tisse la trame, on imagine ainsi facilement une adaptation de l’œuvre d’Endicott en téléroman dans lequel rires et larmes se multiplieraient. Le lecteur ne sera peut-être pas non plus tout à fait convaincu par les remarques de Lorraine ‘ le personnage qu’on connaît finalement le moins et dont on saisit mal la personnalité et les motivations ‘ envers Clara lors de sa sortie de l’hôpital.
Raconté alternativement selon le point de vue de chacun des nombreux personnages, Charité bien ordonnée se lit cependant avec un certain plaisir grâce sans doute à la traduction fluide de Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Au bout du compte, on peut néanmoins se demander si Marina Endicott n’a pas plutôt écrit une ode à la maternité qu’un roman sur les différents visages contradictoires de la bonté et de l’ingratitude.