Premier livre de l’autrice-compositrice-interprète, Chant(s) libère la parole et offre des poèmes qui mettent en lumière les empreintes laissées par le passé, une histoire à redresser.
Dès « Lever le chant », poème d’ouverture de la section « Traces », la voix retentit, dresse la liste de ce qu’il y a à faire pour la grande restauration. Avec ce texte, Andrée Levesque Sioui signe un manifeste rythmé qui martèle son invitation : « Lever le chant / Relever le nom / Tourner la danse / Renverser les têtes / Retourner les cendres / Recueillir les visages / Dégager le faux du vrai ». Le battement de cœur gagnera en puissance tout au long du livre.
La poète consigne les traces de son passé, de son histoire, tant personnelle que collective ; elle les expose, elle les place à l’abri, dans un travail d’écriture intime et minutieux. Elle les sublime pour ne jamais oublier, pour que l’identité reste vivante et qu’elle continue de voyager, de passer d’une génération à l’autre : « Dans la mémoire et le territoire / Tout s’inscrit, tout s’écrit / En oralité et en traces ». Les poèmes sont des signes de reconnaissances de ce que l’on doit au territoire, à la terre, de qui l’on est. Il est question de redresser « l’histoire trompée ». La femme occupe une place centrale dans le livre. À travers les actions, les souvenirs et l’imagerie des poèmes, elle est une figure de meneuse, une dirigeante, responsable de la passation, de la mémoire préservée. En ce sens, Andrée Levesque Sioui signe un livre féministe.
Une soif de connaissance et de partage, un désir de communication, de justice aussi, parcourent les textes. La transmission devient nécessité et, pour Sioui, cela passe par l’écriture. La poète s’inscrit dans une lignée, tant d’écrivain·e·s que d’ancien·ne·s, membres de sa famille, qui l’ont façonnée, qui lui ont tracé une route. Ainsi, elle dédie certains poèmes ou rend hommage autant à ses parents qu’à Édouard Itual Germain, Joséphine Bacon, sa tante Monique ou Jean Désy.
Dans la deuxième section du livre, intitulée « Corps », les poèmes sont plus brefs, la plongée intérieure se fait plus marquée, plus saccadée. Le corps s’incarne, se dévoile, la poète apparaît dans sa vulnérabilité, sa peine et son exaspération, dans sa recherche de vérité aussi. Enfin, dans « Paroles », dernière section du livre, les poèmes deviennent engagés, rassembleurs : voilà notre histoire, voilà qui nous sommes, entendez nos chants et rejoignez-nous, semble dire l’autrice.
Par moments, deux voix appartenant à la même femme semblent s’entremêler. L’une extérieure, plus en retenue, une voix officielle qui dit ce que l’on veut entendre, ce que l’on imagine de l’Autochtone, et l’autre intérieure, plus près de l’émotion, en quête d’équité et de réparation, qui ne cherche pas à plaire, mais plutôt à mettre en lumière des pans douloureux et peu glorieux de notre histoire. Le ton n’est pas agressif, mais la colère est présente, légitime, nécessaire et salvatrice. Quand elle écrit : « Je n’ai plus de langue / j’ai honte », on a l’impression qu’elle la renverse, justement, la honte, en admettant que l’histoire a échoué, volé, brisé, tué, mais que malgré tout, le chant lèvera, la langue renaîtra.
Andrée Levesque Sioui compose et chante. Elle enseigne également le wendat aux membres de sa communauté depuis plusieurs années. À cela, il faut désormais ajouter qu’elle est poète et que sa poésie est aussi profonde que sensible, et surtout, importante. Elle est un appel au mouvement, à la paix, à la puissance des mots.