Sous un discours en apparence progressiste, cet ouvrage présente une vision particulièrement étriquée du devenir de l’être humain plongé dans l’environnement technologique et la biologie de la culture. Je ne sais pas si je dois parler de démagogie, de fétichisme ou d’aveuglement politique. Je retiens simplement cet aveu d’Ollivier Dyens : « J’aime bien revenir à [1984, de George Orwel] quand j’oublie de penser au monde qui m’entoure […] et surtout quand je me perds dans l’utopie de la technoculture en oubliant la faim, la souffrance et la terreur qui règnent encore en maître pour la majorité des êtres humains. » Tout est dit.
Notre ami réinvente les boutons à quatre trous et profite du fait que plusieurs produits américains qu’on trouve chez Amazon.com n’existent pas en traduction française. Je lis par exemple – après avoir été dûment averti que l’une des « clés » de la réalité technologique réside dans le fait que le vivant déborde les « cadres restreints [!] de la matière organique » – cette conclusion touchante : « La vie et l’intelligence sont des dynamiques en glissement constant, pénétrant, à diverses échelles et à divers degrés, toute matière et tout phénomène. » Il suffisait de lire le Yi-king. Ce sont moins les propos d’Ollivier Dyens qui exaspèrent que son ton grand seigneur, emprunté aux jeunes prophètes d’Internet, de la cybernétique et de la génétique. Quiconque (la majorité des êtres humains…) ne se serait pas aventuré jusqu’en ces contrées virtuelles serait condamné à l’analphabétisme de l’esprit.
Après avoir formulé deux définitions de la culture si englobantes qu’elles permettent d’affirmer n’importe quoi et son contraire, Dyens reprend l’hypothèse répandue selon laquelle la disparition des espèces et les mutations environnementales ne sont que des effets de la gigantesque transformation des écosystèmes liée à la place de plus en plus grande occupée par notre environnement médiatique. Que la vie soit appelée à prendre des formes différentes de l’organique, c’est évident. Mais poser par ailleurs comme un absolu qu’elle n’utilise que « les formes et les matières qui lui paraissent les plus efficaces », c’est retomber dans le mythe de la performance qui permet de lancer cette grossièreté pathétique que, les critères biologiques ne fonctionnant plus dans la dynamique du désir sexuel, le corps de Pamela Anderson représenterait l’équilibre entre la fécondité et l’immunité !
Jusque-là, on pourrait rire… Le thérapeute que je suis reste toutefois songeur lorsqu’il se fait dire, par quelqu’un qui fantasme la fusion des êtres, des choses et des phénomènes sans avoir fait ses classes de bouddhisme 101, qu’il « n’y a pas de sexualité organique et amoureuse dans le monde surmoderne ». Et le professeur de littérature que je suis par ailleurs sursaute d’apprendre que Kafka « s’amuse à briser le lien qui unit la justice à la punition ». Si Ollivier Dyens veut bafouer les métaphores proposées par Deleuze et Guattari (entre autres celle du corps sans organes), c’est son droit. Je me demande cependant comment il peut à la fois se prétendre un héraut de la complexité et lancer stupidement que l’utilisation des antidépresseurs a prouvé la « simplicité » chimique de la conscience. Au risque de paraître ignorant, je soutiens que Kafka ne s’amuse pas et que la technoculture, au lieu d’en finir avec l’amour et la sexualité, les transformera.