Sous un magnifique titre, Jean-François Beauchemin conclut, à rebours pourrait-on dire, sa trilogie entreprise avec l’essai La fabrication de l’aube et le roman Ceci est mon corps. En effet, la longue année de deuil dont se rappelle l’écrivain dans ce nouvel essai autobiographique ramène les lecteurs plusieurs années plus tôt, avant qu’il ne frôle la mort racontée d’une si belle voix dans La fabrication de l’aube. Cette fois, c’est d’une autre mort qu’il est question : celle de sa mère dont il est très proche et qui marquera la fin de sa jeunesse.
Avec cette toute nouvelle publication, Beauchemin poursuit donc l’exploration de la vie. « Je ne le nierai pas : ces heures furent pour moi le commencement d’une introspection qui dure depuis », confie-t-il dès les premières pages. Mais l’exploration de la vie ? N’est-il pas plutôt question de perte, d’absence, d’anéantissement du corps, de deuil ? Certes, l’auteur se rappelle les différentes étapes traversées au cours de ces quatre saisons qui ont suivi le décès de sa mère. Sans s’apitoyer sur son chagrin, il relate les longues marches dans les bois près de sa maison en compagnie de sa chienne sur les traces de ces animaux qu’il aime tant, les visites au cimetière non pas pour prier sur une tombe ou parler « à une morte dont ne subsistait, sous la terre, que des cendres refroidies » mais pour fouiller ses souvenirs, les périodes où il s’intéresse davantage aux choses qu’aux personnes – il termine alors l’écriture de Quand les pierres se mirent à rêver (et commence une ébauche de ce qui deviendra Ceci est mon corps) qu’il publiera des années plus tard –, celles où la présence de quelques amis devient indispensable, et les livres qui ont alimenté sa réflexion d’homme et d’écrivain tels Le tombeau des rois d’Anne Hébert, Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez, Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway, Éloge de la vieillesse d’Hermann Hesse ou encore certaines phrases d’En vivant, en écrivant d’Annie Dillard qui le « réconcilièrent entièrement avec la lecture, dont [il s’était] par moments détourné ».
Mais, au bout du compte, Beauchemin parle encore et toujours de la vie. Celle qui l’émerveille intensément en dépit de ce qu’il appelle « le silence du ciel » où dieu lui reste encore « formidablement inconnu ». Ces longs mois de deuil l’ont profondément changé. Ils ne l’ont pas brisé, il s’y est adapté. Voilà, outre le sentiment d’avoir vieilli, ce que cette année où sa jeunesse s’est envolée lui aura appris, un essentiel apprentissage qu’il exprime dans un passage d’une poignante simplicité. « Je ne savais pas encore que le courage n’est pas cette chose spectaculaire que l’on décrit généralement. J’ignorais qu’on ne peut être courageux au moment où le malheur frappe, que le courage vient toujours après une attente et qu’il ne se vit que sur de longues périodes, le plus souvent la vie durant. Je n’avais pas toujours en moi la belle patience qu’il faut pourtant maintenir tandis que le courage s’en est allé, et avec lui la joie que chaque homme éprouve naturellement. Je m’étonnerai toujours que personne ne m’ait dit d’être patient, et d’attendre que s’installe à nouveau cette acceptation sereine, durable, que connaissent ceux qui sont courageux. » Cette patience « si nécessaire [qui] constitue peut-être le plus méconnu de nos devoirs humains » et peut-être l’essence même de la vie.
Les inconditionnels de Jean-François Beauchemin plongeront avec bonheur dans ce dernier livre. Les autres découvriront, avec ce bref et intense récit, une pièce révélatrice de l’œuvre et de son auteur. Pour les uns et les autres, Cette année s’envole ma jeunesse pourrait bien devenir un de ces petits livres qu’on lit et relit sans en épuiser toute la profondeur.