Le livre que nous propose aujourd’hui Pierre Hébert, en collaboration avec Élise Salaün, poursuit l’œuvre publiée en 1997 sous le même intitulé. Ce second tome décrit cette fois un « paysage censorial [qui] se transforme radicalement » en passant, en 40 ans seulement, « des fastes du pouvoir clérical à sa disparition ».
Dans les années 1920, en effet, le régionalisme littéraire (associé ici aux appellations de nationalisation et de terrorisme « comme si elles étaient synonymes ») n’a sans doute « pas interdit, mais il a obligé à dire ». Dès la décennie suivante apparaissent les prémisses de la Révolution tranquille malgré une persistance censoriale qui s’appuie sur le dogme. La fin de la Seconde Guerre mondiale marquera le chant du cygne de la censure cléricale et l’établissement du contrôle étatique, le clergé étant contraint de passer la main au pouvoir juridique.
Précédée d’exposés de « leçons, notions [et] transformations » touchant la compréhension de la censure, les différentes sortes de censure (constitutive et institutive) et les positions théoriques qui les soutiennent, « l’approche interprétative » de Pierre Hébert s’appuie sur des cas de figure fort représentatifs où circulent d’importants acteurs : Louis-Adolphe Pâquet, Louis Dantin, Camille Roy, Lionel Groulx, Jean-Charles Harvey, Alfred DesRochers, Paul Gay, les éditeurs Albert Lévesque et Albert Pelletier… Y sont aussi évoqués avec pertinence des revues et journaux significatifs (Le Nigog, Lectures, Le Devoir, L’Ordre, Les Idées…), des publications particulières (Mes fiches, Refus global…), des genres littéraires méprisés (le roman populaire, les « pocket-books »…), des faits révélateurs (l’« affaire Balzac »), des lois (de 1949 contre les « comic-books » et de 1959 sur l’obscénité), des procès (contre L’amant de Lady Chatterley et Histoire d’O)… D’intéressantes réflexions terminales sur l’histoire de la censure et l’histoire des idées viennent clore cet essai ouvert et documenté.
S’il est privé cette fois-ci d’annexes relatives aux documents épiscopaux et juridiques convoqués, et notamment à la fameuse « Anastasie » qui sert de porte-étendard symbolique à l’auteur, le lecteur appréciera en revanche une percée récurrente sur le mode humoristique où la « vertu prophylactique » de « La Semaine religieuse de Québec » côtoie les « Champollions » des « hiéroglyphes de la contrainte » des années 1930.