Depuis plus d’une quarantaine d’années, l’anthropologue français René Girard affine, à coups de concepts parfois un tantinet dérangeants aux yeux de certains penseurs, sa théorie du désir mimétique. Les ouvrages se succèdent au fil des ans et l’analyse devient chaque fois plus complète, tout en demeurant incisive à souhait. Le plus récent livre de l’auteur, intitulé Celui par qui le scandale arrive, s’il n’apporte que peu d’eau nouvelle au moulin de la théorie girardienne, vient préciser des points de détail à propos de notions dont la compréhension demeurait lacunaire. L’ouvrage est divisé en deux parties fort distinctes. La première regroupe trois articles portant sur différents aspects théoriques, mais dont la visée est claire : l’anthropologue s’en prend au relativisme dont la pensée contemporaine, incapable de repérer la violence à la base de tout ordre symbolique, fait preuve. Dans « Violence et réciprocité », René Girard revient sur le concept de mimesis afin de bien montrer l’empire que celle-ci exerce sur les comportements de tous les individus. Le monde moderne, inconscient du danger qui le guette à trop vouloir se ranger « du côté de la réciprocité et de l’identité contre les différences », en vient, selon lui, à légitimer la violence (engendrée par l’imitation de modèles dangereux), laquelle prévaut dès lors sous de multiples formes. Constat plutôt sombre, qui pourtant s’inscrit à merveille dans la vision « apocalyptique » présentée par l’auteur. Le deuxième article, « Les bons sauvages et les autres », fait état de l’ambivalence (attirance / répulsion) qui caractérise la position des Occidentaux à l’égard de la figure du sauvage et désigne la violence comme un phénomène inhérent à toute culture (qu’elle soit primitive ou moderne). Enfin, « Théorie mimétique et théologie », le dernier article, relance une idée que l’auteur entretient depuis Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), à savoir que les Évangiles révèlent les mécanismes du procédé sacrificatoire, dissimulés auparavant dans les mythes. Allant à l’encontre du relativisme religieux qui prévaut aujourd’hui, le penseur affirme qu’il faut voir dans le sacrifice d’un individu innocent ‘ événement religieux fondateur ‘ l’élément révélateur du procédé sur lequel repose l’irruption de la violence dans toute culture.
La seconde partie de l’ouvrage consiste en un entretien donné par René Girard à Maria Stella Barberi. Le point de départ en est la polémique suscitée par l’essai paru en 1999, Je vois Satan tomber comme l’éclair, et l’auteur est amené à préciser encore une fois les ressorts de sa pensée. Abordant des sujets très variés – l’importance et la place de l’Église dans les sociétés modernes, les lacunes du darwinisme et du processus d’hominisation, la critique de Claude Lévi-Strauss à l’encontre de la théorie du désir mimétique, mais aussi, bien sûr, le rôle de révélation des Évangiles –’, l’anthropologue en vient à fournir de nouvelles précisions sur ce qu’il veut être « l’explication de l’origine du religieux, des mythes et des rites ». En définitive, l’ouvrage donnera parfois l’impression de manquer de plan d’ensemble ; c’est qu’il s’adresse à un public déjà au fait des recherches de l’auteur, destiné qu’il est à clarifier des concepts de la pensée girardienne.